CHAPITRE II
La méthode expérimentale. Méthode des sciences physiques et naturelles.

L'objet des sciences physiques ou naturelles est d'expliquer les phénomènes de la nature, c'est-à-dire d'en découvrir les causes et les lois. En physique, la cause d'un phénomène n'est autre chose qu'un phénomène plus général auquel un ramène le premier : par exemple, Newton a découvert la cause du mouvement des astres lorsqu'il a montré que ce n'était qu'un cas particulier de la gravitation. Franklin a découvert la cause de la foudre lorsqu'il a montré que ce n'était qu'un cas particulier des phénomènes électriques. La loi, de son côté, n'est autre chose qu'un rapport constant et autant que possible mathématique entre les divers éléments d'un fait, ou bien entre ce fait et un autre fait avec lequel il se montre constamment lié dans l'expérience. Par exemple, les lois de la chute des corps nous indiquent les rapports constants qui existe entre l'espace, le temps et la vitesse, qui sont les éléments de la chute ; les lois d'Ampère nous indiquent les rapports qui existent entre les courants et les aimants.
Pour découvrir les causes et les lois, il n'y a pas d'autre méthode possible que l'étude des phénomènes eux-mêmes.
C'est ce qu'on appelle la méthode d'observation, ou méthode expérimentale, ou enfin méthode inductive, selon que l'on considère les trois opérations dont elle se compose : l'observation, l'expérimentation et l'induction.

388. De l'observation.

L'observation est l'attention appliquée aux phénomènes extérieurs ( ou intérieurs, quand il s'agit de nous-mêmes ), pour en déterminer les circonstances et en découvrir les éléments ; c'est encore l'art de remarquer ces phénomènes, de distinguer ce qui est intéressant et ce qui ne l'est pas. Un esprit observateur ne se borne pas à dresser des catalogues ; il n'est pas une simple plaque photographique qui répercute les phénomènes extérieurs : il reconnaît et distingue ce qui mérite d'être vu. Bien des yeux avaient vu et regardé avec attention des lampes dans l'espace, quand elles étaient suspendues à une corde : Galilée, en observant ce phénomène, y a remarqué l'isochronisme des oscillations et le rapport de la durée de ces oscillations avec la longueur de la corde.

389. Les sens.

Le seul moyen que nous ayons d'observer les phénomènes du dehors, ce sont les sens. L'intégrité et le bon état des sens est donc une première condition de l'observation. Ainsi de bons yeux sont nécessaires à l'astronome, au physicien ; l'ouïe a son intervention nécessaire dans les expériences d'acoustique ; le chimiste a besoin du goût et de l'odorat, etc. Cependant, comme nous l'avons déjà dit ( 95 ), ce ne sont pas les sens eux-mêmes, c'est l'entendement qui observe par le moyen des sens. C'est surtout par l'habitude et par exercice, aidés de la méthode, que l'on apprend à voir et à entendre. De plus, on sait que les sens nous sont des occasions d'erreur ( 129 ) ; il faut apprendre à en interpréter les données. L'astronome sait par exemple que chaque observateur met plus ou moins de temps à apercevoir l'apparition d'un astre : c'est ce qu'on appelle l'équation personnelle : on élimine cette erreur en prenant des moyennes entre un très grand nombre d'observations.

390. Des instruments.

Les sens étant bornés dans leur usage, la science a trouvé le moyen de les prolonger et de les compléter par le moyen des instruments. Les yeux ont un champ limité ; on les prolonge dans le sens de l'éloignement par le télescope, dans le sens de la petitesse par le microscope dans le sens du volume par des lentilles et tous les instruments grossissants. Les mêmes progrès ont été faits récemment pour le sens de l'ouïe par l'invention du téléphone et du microphone. Par les appareils dits enregistreurs, on tient note des mouvements les plus rapides et les plus délicats : les battements d'ailes d'un cousin, ou les mouvements cachés qui ne sont sensible qu'au tact, par exemple les battements du cœur. Par la photographie, on conserve en permanence sous les yeux des objets éloignés ou passagers, qui vous échapperaient ; enfin par tous les instruments de précision, on a des mesures exactes de la température, de la densité, de la vitesse, etc. Ainsi les sens sont centuplés dans leur action, et l'observation peut arriver à la dernière précision ; de plus, chacun peut se créer à lui-même des instruments nouveaux pour l'ordre particulier d'observation qu'il se propose.
Quant à l'usage des instruments, les principales règles sont celle-ci : 1° l'observateur doit connaître ses instruments, par exemple, savoir exactement de quel grossissement sont les verres dont il se sert ; 2° il doit chercher à se les rendre le plus commodes en les appropriant par quelques corrections à l'usage auquel il les destine ; 3° il doit les vérifier ; 4° il doit connaître enfin et apprécier les erreurs dont ils sont susceptibles « Pour ces détails, et en général pour toutes les règles pratiques de la méthode d'observation, on consultera avec fruit l'excellent ouvrage de Sennebier, l'Art d'observer ( 3 vol. Genève. ) L'ouvrage de Zimmerman sur l'Expérience est plus particulièrement consacré à la médecine. »
En général le savant doit être à lui-même son propre ouvrier : « Loewenhoek était son opticien ; Nollet son émailleur et son tourneur. Herschell faisait lui-même ses verres et ses miroirs. » ( Sennebier, Art d'observer, t. I, p. 220. )

391. Qualités de l'observateur.


L'œuvre de Paul Janet