MORALE PRATIQUE

SECTION I
CHAPITRE PREMIER
Devoirs envers les animaux. –Devoirs envers soi-même.

On ramène généralement les devoirs à trois classes : devoirs envers nous-mêmes, envers les autres hommes et envers Dieu. Quelques-uns ajoutent une quatrième classe : devoirs envers les animaux.

473.Devoirs envers les animaux.
En effet, quoique les animaux soient faits pour notre usage et qu'il nous soit permis soit de nous en nourrir, soit de les employer à nous servir en les réduisant à la domesticité, cependant il ne faudrait pas croire que tout est permis à l'égard de ces créatures, inférieures sans doute, mais qui sont, comme nous-mêmes, les créatures de Dieu.
Le seul devoir essentiel à l'égard des animaux est de ne pas les détruire ni même de les faire souffrir sans nécessité.
Fontenelle raconte qu'étant allé voir un jour le père Malebranche aux pères de l'Oratoire, une chienne de la maison, qui était pleine, entra dans la salle et vint se rouler aux pieds du père. Après avoir inutilement essayé de la chasser, Malebranche donna à la chienne un coup de pied qui lui fit jeter un cri de douleur, et à Fontenelle un cri de compassion : ( Eh ! quoi, lui dit froidement le père Malebranche, ne savez-vous pas que cela ne sent pas ? )
Comment ce philosophe pouvait-il être assuré que cela ne sentait point ? L'animal n'est-il pas organisé de la même manière que l'homme ? N'a-t-il pas les mêmes sens, le même système nerveux ? Ne donne-t-il pas les mêmes signes des impressions reçues ? Pourquoi le cri de l'animal n'exprimerait-il pas la douleur aussi bien que le cri de l'enfant ? Lorsque l'homme n'est pas perverti par l'habitude, par la cruauté ou par l'esprit de système, il ne peut voir les souffrances des bêtes sans souffrir également, preuve manifeste qu'il y a quelque chose de commun entre eux et nous, car la sympathie est en raison de la similitude.
Les animaux souffrent donc, c'est ce qui est incontestable ; ils ont comme nous la sensibilité physique, mais ils ont également une certaine sensibilité morale ; ils sont capables d'attachement, de reconnaissance, de fidélité, d'amour pour leur petits, d'affection réciproque.
De cette analogie physique et morale de l'homme et de l'animal résulte manifestement l'obligation de ne leur imposer aucune souffrance inutile.
Mme Necker de Saussure raconte l'histoire d'un enfant qui, se trouvant dans un jardin où une caille apprivoisée courait librement à côté de la cage d'un oiseau de proie, eut je ne sais quelle tentation de saisir la pauvre caille et de la donner à dévorer à l'oiseau. Le héros de cette aventure raconte lui-même la punition qu'on lui infligea : ( A dîner, il y avait grand monde ce jour là, le maître de la maison se mit à raconter la scène froidement et sans réflexion, mais en me nommant. Quand il eut fini, il y eu un moment de silence général, ou chacun me regardait avec une espèce d'effroi. J'entendis quelques mots prononcés entre les convives, et, sans que personne m'adressât directement la parole, je pus comprendre que je faisais sur tout le monde l'effet d'un monstre. ).
A la cruauté envers les animaux doivent être rattachés certains jeux barbares où l'on fait combattre les bêtes les unes contre les autres pour notre plaisir : tel sont les combats de taureaux en Espagne, les combats de coqs en Angleterre.
On n'ose pas ranger la chasse parmi ces jeux inhumain, car d'une part elle a pour but de détruire des animaux nuisibles à nos forêts et de nous fournir un aliment utile, de l'autre elle est un exercice favorable à la santé et elle exerce certaines facultés de l'âme ; mais au moins faut-il que la chasse ne soit pas un massacre et qu'elle ait pour but l'utilité.
La brutalité envers les bêtes qui nous rendent le plus de service, et auxquelles nous voyons tous les jours infliger des charges au-dessus de leurs forces et des coups pour les contraindre à les subir, est aussi un acte odieux qui a le double tort d'être à la foi contraire à l'humanité et contraire à l'intérêt, puisque ces animaux, accablés de charges et de coups, ne tardent pas à succomber à leurs persécutions.
On ne peut non plus considérer comme absolument indifférent l'acte de tuer ou de vendre ( à moins de nécessité extrême ) un animal domestique qui nous a longtemps servis et dont on a éprouvé l'attachement. ( Parmi les vainqueurs aux jeux olympiques, nous disent les anciens, plusieurs font rejaillir les distinctions qu'ils reçoivent sur les chevaux qui les leur ont procurées ; ils leurs ménagent une vieillesse heureuse ; ils leur accordent une sépulture honorable, et quelquefois même ils élèvent une pyramide sur leur tombeau. ).
( Il n'est pas raisonnable, dit Plutarque, d'user des choses qui ont vie et sentiment tout ainsi que nous faisons d'un soulier ou de quelque autre ustensile, en les jetant après qu'elles sont tout usées et rompues à force de nous avoir servi ; et quand ce ne serait pour autre cause que de nous induire et exciter toujours à l'humanité, il nous faut accoutumer à être doux et charitables jusqu'aux plus humbles offices de bonté ; et quant à moi, je n'aurais jamais le cœur de vendre le bœuf qui aurait longuement labouré ma terre, parce qu'il ne pourrait plus travailler à cause de sa vieillesse.).
Une des principales raisons qui condamnent la cruauté envers les animaux, c'est que par instinct d'imitation et de sympathie les hommes s'habituent à faire aux hommes ce qu'ils ont vu faire aux animaux. On cite un enfant qui fit subir à son frère le sort d'un animal qu'il venait de voir égorger.
Les hommes qui se montrent brutaux envers les bêtes le sont également entre eux et exercent à peu près les mêmes sévices sur leurs femmes et sur leurs enfants. C'est en raison de ces considérations d'utilité sociale et d'humanité que la loi s'est décidée, en France, à intervenir pour prévenir et punir les mauvais traitements infligés aux animaux ( loi Grammont ), et les conséquences de cette mesure sont des plus heureuses.

Annotation Apj : ( un esprit pervers va considérer les personnes qu'il encadre comme des animaux, et laissera libre court à sa cruauté. ).
DEVOIR ENVERS SOI-MEME
On distingue généralement les devoirs envers soi-même en deux classes : devoirs relatifs au corps, devoir relatif à l'âme.

474.Devoir de conservation. -Le suicide.

L'œuvre de Paul Janet