joris Abadie
Les
Etat généraux étaient divisés en ordres ou
en classe. L'Assemblée
nationale fut divisée en partis. La division par ordres
était
artificielle, ou du moins résultait de circonstances historiques
que le
temps avait profondément modifiées. La division en partis
est
naturelle, et naîtra toujours de la diversité même
des esprits et des
situations, qui ne permet pas que tous voient les choses du même
point
de vue.
Ce fut dans l'Assemblée constituante que les partis
commencèrent à se désigner par la place qu'ils
occupaient dans la salle
des séances. Le côté droit avait été
choisi par les privilégiés ; le
côté gauche par les députés populaires ; le
centre était occupé par les
modérés. C'est depuis ce temps que la droite a
signifié la réaction ;
la gauche la révolution ; et le centre, le juste milieu.
La droite
s'était formée naturellement des deux ordres
privilégiés, noblesse et
clergé, moins quelques députés de ces deux ordres,
attachés aux idées
nouvelles. Elle avait pour orateurs deux hommes d'un talent brillant et
facile : l'abbé Maury et Cazalès ; Maury
académicien et rhéteur plutôt
qu'orateur politique ; Cazalès, au contraire d'une
éloquence vive,
naturelle, spontanée, sachant trouver les meilleures raisons
possibles
pour une cause impopulaire.
Entre la droite et la gauche se plaçait
le parti Necker, composé de ceux qu'on appelait monarchiens.
Leur idéal
était la constitution anglaise. Tout en faisant la part aux
idées de la
Révolution, ils eussent voulu un pouvoir royal fort et
respecté, une
chambre haute réservée aux anciens ordres
privilégiés, et une chambre
populaire élective. Ce parti s'inspirait des idées de
Montesquieu, et
croyait pouvoir, par cette combinaison, réconcilier les trois
grands
éléments de la société d'alors, la
royauté, l'aristocratie et le peuple.
A la tête de ce parti étaient deux hommes, parfaitement
unis de
sentiments et d'opinions, Malouet et Mounier, esprits sages,
pondérés,
ennemis des excès en toutes choses, mais demandant à la
Révolution et à
la Royauté des transactions qui n'étaient alors dans le
tempérament ni
de l'une ni de l'autre. Se rattachaient au même parti
Clermont-Tonnerre, Lally-Tollendal, et enfin le ministre Necker dont la
fille, Mme de Staël, défendit plus tard avec passion les
idées
politiques du parti dans son livre des Considérations sur la
Révolution
française.
Le parti national ou populaire se composait de l'immense
majorité de l'Assemblée. C'est lui qui en avait
décidé les premiers
actes : c'est lui qui avait voté la Déclaration des
droits ; ce fut lui
qui fit la constitution. Imbu, sans le savoir, des principes
républicains, il s'inspirait de Rousseau plus de Montesquieu.
Les deux
chefs les plus puissants de ce parti, et on peut le dire, de
l'Assemblée, furent Sieyès et Mirabeau, celui-ci plus
royaliste,
celui-là plus démocrate. Le maire de Paris, Bailly, le
commandant des
gardes nationales, La Fayette, se rattachaient à ce grand parti.
La
gauche de l'Assemblée constituante eut son extrême gauche.
Sans être
républicain, ce parti poussai le droit populaire aussi loin
qu'il était
possible sans sortir de la monarchie ; ses chefs étaient au
nombre de
trois ; on les appelait le Triumvirat : c'étaient Duport, Lameth
et
Barnave. Ce dernier, avocat célèbre, fut, après
Mirabeau, le plus
éloquent orateur de l'Assemblée, et même lutta
quelquefois contre lui
avec succès « Particulièrement dans la question du
droit de faire la
paix et la guerre, droit que Mirabeau voulait laisser au pouvoir royal,
et que Barnave réclamait pour le pouvoir législatif.
».
Aux
dernières limites de l'extrême gauche siégeait
encore un député, obscur
alors et sans influence, appelé depuis à une sinistre
célébrité,
Maximilien Robespierre.
Telle fut l'Assemblée constituante, si
riche en hommes remarquables de toute sorte et de toute opinion.
Insistons sur les deux plus importants : Sieyès et Mirabeau.
Deux
hommes effacent tous les autres dans l'Assemblée constituante :
Sieyès
et Mirabeau. L'un fut son grand théoricien politique ; l'autre
son plus
grand orateur.
L'abbé Sieyès, député de Paris, connu par
plusieurs
brochures politiques avant la Révolution, avait surtout
frappé
l'opinion par son écrit célèbre sur le tiers
état, dont on a retenu ces
trois formules remarquables : « Qu'est-ce que le tiers
état ? Rien. Que
doit-il être ? Tout. Que veut-il être ? Quelque chose.
»
Aux Etats
généraux, Sieyès fut celui qui proposa au tiers de
délibérer sans les
deux autres ordres, et de se proclamer Assemblée nationale. Ce
fut lui
qui, lors de la séance royale du 23 juin, le roi ayant enjoint
au tiers
de maintenir la séparation des ordres, prononça ces mots
décisifs : «
Nous sommes aujourd'hui ce que nous étions hier :
délibérons. »
Parmi les idées neuves de l'abbé Sieyès qui ont
été appliquées, il faut
mentionner l'institution des gardes nationales et la division de la
France en départements.
Néanmoins, Sieyès est plutôt un penseur et
un philosophe qu'un politique. Il vivait plus dans les abstractions que
dans les faits. Il conserva longtemps en portefeuille un projet de
constitution que ses admirateurs vantaient comme une merveille de
l'esprit humain, et qui eut depuis de tristes aventures. Adoptée
et
remaniée par Bonaparte, au 18 brumaire, dans
l'intérêt de son pouvoir,
elle est devenue le type de toutes les constitutions impériales,
dont
on sait la lamentable histoire. Sieyès survécut longtemps
à la
Révolution et ne mourut qu'en 1836, à l'age de 88 ans
« Il était né à
Fréjus en 1748. ».
Mirabeau était plus que Sieyès un politique, un
homme d'Etat. Il était surtout sans rival pour
l'éloquence. Entraînant,
nerveux, plein de force dans le raisonnement, plein d'imprévu
dans
l'apostrophe, profond dans la connaissance des faits politiques et dans
l'étude des institutions, aucun homme, dans nos
Assemblées, ne s'est
plus rapproché que lui des grands orateurs antiques.
Mirabeau était
à la fois plein de vices et de génie. La profondeur de
ses vues et la
sagacité de son esprit n'eurent d'égale que sa
vénalité.
Sa
jeunesse avait été déplorable ; mais la faute n'en
fut pas à lui seul.
Opprimé par sa famille, victime de l'arbitraire royal,
ruiné d'ailleurs
par ses propres désordres, il avait nourri dans son âme
des rancunes et
des désirs qui devaient faire de lui le plus redoutable des
tribuns.
Plus qu'aucun autre, Mirabeau contribua aux premiers actes de la
Révolution ; la Cour n'eut pas alors d'ennemi plus cruel et plus
insolent, ni le peuple de plus audacieux défenseur.
Mais, après ce
premier moment, il fut un des premiers qui, dans le parti populaire,
essayèrent de contenir l'entraînement démocratique
de l'assemblée et de
sauver la puissance royale de plus en plus menacée.
On a lieu de
croire qu'en passant du rôle de tribun à celui de
conservateur,
Mirabeau était sincère et convaincu. Il est malheureux
qu'il ait cru
pouvoir mettre ses opinions d'accord avec ses intérêts, en
se vendant à
la Cour. Il n'est que trop prouvé, aujourd'hui, qu'en faisant
passer à
la Cour des avis et des notes politiques il en recevait le prix.
Ces négociation ne furent que soupçonnées des
contemporains, qui n'en
eurent jamais la preuve. Une mort prématurée sauva
Mirabeau de la chute
où l'eût fait tomber sa vénalité, et vint le
surprendre au milieu de sa
gloire. Il mourut le 2 avril 91 « Il était né en
1749, et par
conséquent mourut à l'age de 42 ans. », «
emportant avec lui comme il
disait, le deuil de la monarchie ». Cette mort fut un grand vide
pour
l'Assemblée ; la stupeur et l'admiration firent taire toutes les
rancunes. Il semblait qu'aucune main n'était plus là pour
contenir la
Révolution.
Mirabeau, pas plus qu'aucun autre, n'aurait pu faire ce
miracle ; et ce fut pour lui un bonheur de mourir assez tôt pour
n'être
pas dévoré par elle.
Malgré
les désordres inséparables des grands mouvements
populaires, on peut
dire qu'un sentiment commun d'enthousiasme accueillit en France les
grandes réformes de la Révolution. On y vit l'aurore
d'une société
nouvelle et de la fraternité universelle.
Ce fut une illusion bien
vite évanouie ; mais elle eut son heure de fête et
d'ivresse. Les
tristes et sombres journées de la Révolution sont assez
nombreuses pour
que l'on s'arrête un instant sur celle où la joie sans
mélange vint
remplir tous les cœurs.
Ce fut l'anniversaire de la prise de la
Bastille, le 14 juillet 1790, qu'eut lieu au Champ de Mars la
fête de
la Fédération. Déjà, dans les province,
plusieurs ligues ou fédérations
s'étaient formées, dans lesquelles on prêtait le
serment d'être fidèle
« à la nation, à la loi et au roi ».
Une grande fédération
enveloppant toutes les autres se forma à Paris. 50,000 gardes
nationaux
se réunirent au Champ de Mars sous le commandement de La
Fayette. Le
roi vint jurer à son tour, sur l'autel de la Patrie,
fidélité à la
nation et aux lois. La reine présenta au peuple l'enfant royal
qui
devait être Louis XVII. On dansa le soir sur l'emplacement de la
Bastille.
Personne ne prévoyait la sombre tragédie qui devait
succéder bientôt à cette éblouissante idylle.
Les travaux de l'Assemblée constituante
eurent quatre objets principaux :
1° L'organisation administrative du royaume ;
2° Les finances ;
3° Les affaires du clergé ;
4° La constitution de l'Etat.
L'Assemblée, voulant créer une France nouvelle, dut
détruire les
anciennes circonscriptions territoriales, et en introduire d'autres
à
la place.
A la division par provinces elle substitua la division par
départements.
L'ancienne France était divisée en 32 provinces, dont les
principales
(Bourgogne, Bretagne, Languedoc, etc ). Avaient formé au moyen
âge
comme autant d'Etats distincts. L'une de ces province, l'Ile-de-France,
avait pour seigneur le roi, qui était supérieur aux
autres seigneurs en
tant que suzerain, et auquel tous les autres étaient
rattachés par le
lien plus ou moins lâche de la vassalité.
Les seigneurs de ces
Etats subordonnés devaient au roi le service militaire et
certaines
redevances ; ils relevaient dans certains cas de son tribunal ; mais
à
part ces obligations dont ils s'affranchissaient le plus possible, ils
jouissaient d'une indépendance presque absolue ; souvent
même ils
traitaient avec le roi d'égal à égal, et lui
faisaient la guerre, comme
souverain à souverain ; la Bretagne, la Bourgogne, furent celles
qui
luttèrent le plus longtemps contre la royauté.
Peu à peu cependant
ces diverses provinces avaient été réunies
à la Couronne, et soit par
conquête, soit par mariage, soit par cession volontaire, avaient
été
enveloppés dans l'unité française ; mais il
restait encore entre elle
bien des éléments de séparation et de division. La
diversité des lois
et des coutumes, la diversité des poids et des mesures, les
douanes
intérieures rendaient les communications difficiles, et
créaient de
nombreux obstacles au développement du commerce et de
l'industrie.
L'Assemblée constituante, pour assurer définitivement
l'unité
française, brisa les anciennes barrières provinciales, et
au lieu de 32
provinces que la tradition et l'histoire avaient formées, elle
établit
législativement 83 départements. Une province fut ainsi
divisée en
plusieurs départements ; un même département se
forma souvent aux
dépens de plusieurs provinces.
Cette réforme fut, de toutes celles
de l'Assemblée constituante, celle qui a le mieu réussi,
et qui est
restée la plus solide, malgré toutes nos
révolutions. Il faut croire,
malgré les objections dont elle a été l'objet,
qu'elle répondait à un
besoin légitime et vrai.
Ce
fut par suite de l'état déplorable des finances que
l'Assemblée fut
amenée à s'occuper des affaires du clergé. Ces
deux objets se
rattachent donc l'un à l'autre, et nous les traiterons ensemble.
Le
déficit financier avait été l'occasion de la
Révolution, la cause
déterminante de la convocation des Etats généraux.
Le ministre Necker,
que les événements de juillet avaient ramené au
pouvoir, n'avait pas
été plus heureux que ses prédécesseurs.
Deux emprunts, une contribution
d'un quart sur le revenu n'avaient produit que des ressources
insuffisantes et passagères.
L'Assemblée s'en procura de plus amples
et de plus durables par une des mesures les plus hardies de la
Révolution : l'expropriation des biens du clergé.
Le clergé était en
possession de nombreux biens dits de mainmorte « On appelait bien
de
mainmorte des propriétés inaliénables, qui ne
passent pas de mains en
mains. », qui s'élevaient à une valeur de plusieurs
milliards. Ces
biens, mis entre les mains de l'Etat, pouvaient suffire à la
fois à
l'entretien du clergé lui-même et au payement des dettes.
L'évêque
d'Autun, le célèbre Talleyrand, proposa à
l'Assemblée cette mesure qui
devait sauver, suivant lui, le crédit de la Révolution.
Mirabeau
l'appuya dans un de ses plus profonds discours.
Il n'est pas facile
de résoudre le problème de droit que soulève cette
mesure énergique.
D'une part, le droit de propriété est sacré ; mais
d'autre part, une
corporation impersonnelle peut-elle jouir du droit de
propriété au même
titre qu'un individu particulier ? Peut-elle enlever à la libre
circulation tout ou partie du territoire ? Irait-on jusqu'à dire
qu'une
personne morale, telle que le clergé, pourrai arriver à
s'approprier le
sol tout entier, sans que l'Etat ait le droit d'intervenir ?
C'est
là une question sujette à controverse, mais que l'Etat,
dans tous pays,
au delà d'une certaine limite, a toujours résolue et
résoudra toujours
dans le sens de son propre droit.
Quoi qu'il en soit, l'Assemblée
trancha le nœud plus qu'elle ne le dénoua ; et le 2
décembre 1789, elle
mit les biens ecclésiastiques à la disposition de la
nation.
Les
biens territoriaux du clergé étant mis entre les mains de
l'Etat,
l'Assemblée, pour en escompter la valeur, créa les
assignats, sorte de
papier-monnaie, qui eurent cours forcé et étaient
hypothéqués sur les
biens nationaux, d'abord ceux du clergé et plus tard ceux des
émigrés.
Ce papier-monnaie rendit les plus grands services, et sauva pour le
moment, on peut dire, la France et la Révolution.
Cependant on ne
put échapper aux dangers bien connus de ce système :
quelque effort que
l'on fit pour limiter la quantité émise, la
nécessité croissante était
plus forte que toute prudence ; la planche aux assignats, comme on
l'appelait, ne cessait de produire du papier, qui se
dépréciait à
mesure, et finit par perdre toute espèce de valeur : de
là beaucoup de
ruines, conséquence ordinaire de l'abus du papier-monnaie.
La
contre-partie de la mesure qui livrait à l'Etat les biens du
clergé,
fut que l'Etat dut prendre à sa charge l'entretien du culte et
de ses
ministres. Le salaire des prêtres fut la rançon
payée pour les biens
saisis. C'est ainsi que la religion devint une partie de l'Etat et une
sorte de fonction publique.
L'Assemblée s'engagea bien plus avant encore dans cette voie par
mesure que l'on a appelée la Constitution civile du
clergé.
Ce
projet qui, à la vérité, ne touchait pas au dogme,
portait néanmoins
atteinte à la liberté religieuse, en organisant l'Eglise
par la loi,
comme on aurait fait d'un service public. On fixait le nombre des
évêchés, on limitait leur circonscription, on
déterminait les
conditions de la nomination des ministres du culte ; on
prétendait
rétablir la primitive de Eglise, en faisant élire les
évêques par le
peuple. Ces mesures en elles-mêmes pouvaient être sages ;
mais d'une
part, elles étaient impolitiques en fournissant au clergé
un légitime
motif de résistance à la Révolution ; de l'autre
elles étaient injustes
: car l'organisation d'une Eglise ne relève que
d'elle-même, et c'est
d'un commun accord que les rapports de l'Eglise et de l'Etat doivent
être réglés. Séparation ou Concordat, tels
sont les deux seuls systèmes
compatibles avec la liberté religieuse. Hors de là, vous
aboutissez
nécessairement aux Eglises d'Etat.
La vente des biens ecclésiastiques et la constitution civile
firent du clergé un adversaire irréconciliable de la
Révolution.
Cependant,
s'il était juste, il devrait reconnaître qu'il a
gagné à la Révolution
autant que les autres classes de l'Etat. L'égalité a
pénétré dans
l'Eglise comme dans la nation. Toutes les fonctions du clergé,
même les
plus hautes, au lieu d'être réservées en partie
à la naissance, au
point qu'on avait vu des archevêques au berceau, furent le prix
du
mérite et de la vertu.
Ce ne fut pas seulement la justice qui y
gagna : ce fut la piété même. Au lieu de ces
vocations scandaleuses,
imposées par la naissance, qui faisaient des Retz et des
Talleyrand, il
n'y eu plus que des vocations libres, et les désordres de mœurs
si
fréquents dans le haut clergé d'alors sont devenus une
rare exception.
Ainsi,
malgré certaines mesures oppressives, qui résultaient
d'une fausse
doctrine, on peut dire qu'en général le clergé a
dû à la Révolution un
progrès notable au point de vue de l'équité, de la
moralité et de la
piété.
Ce fut en 1791 que l'Assemblée nationale
termina sa Constitution, et c'est de cette date que cette Constitution
porte le nom.
On appelle Constitution la loi fondamentale qui règle
l'organisation et les rapports des principaux pouvoirs de l'Etat.
L'ancien
régime n'eut jamais de Constitution écrite, si même
on peut dire qu'il
eût eu jamais de Constitution. Les mœurs et les traditions, plus
que
les lois, servaient seules quelquefois de contre-poids au pouvoir
absolu. En 89, la France ivre de théorie politique, crut qu'elle
serait
sauvée quand elle aurait une Constitution. Depuis cette
époque jusqu'à
l'heure présente, elle en a consommé dix ou douze «
1° Constitution de
91 – de 93 – de l'an III (95) – de l'an VIII (1800) –
sénatus-consultes
de l'an X (consulat à vie) – de l'an XII (1804)(Empire) – Charte
de
1814 – Acte additionnel (1815) – Charte de 1830 – Constitution de 1848
– Constitution de 1852, sans parler des nombreux
sénatus-consultes qui
ont modifié cette dernière Constitution ; - et enfin
Constitution de
1875. » et l'on en demande encore une nouvelle !
Les principaux points de la Constitution de 91 étaient les
suivants :
1°
Le suffrage était à deux degrés. Le droit de
choisir les électeurs
appartenait aux citoyens actifs. Les électeurs nommaient les
députés.
Pour être citoyen actif, il fallait payer une contribution
égale à la valeur de trois journées de travail.
Pour
être électeur, il fallait payer une contribution
égale à la valeur de
cent à quatre cents journées de travail, suivant qu'il
s'agissait de la
campagne ou de la ville, de villes au-dessus ou au-dessous de 6000
âmes, ou enfin de propriétaires, de locataires ou
d'usufruitiers.
2°
Le mouvement était monarchique, c'est-à-dire que le
pouvoir exécutif
était entre les mains d'un monarque ; mais le pouvoir de ce
monarque,
au lieu d'être absolu, comme dans l'ancien régime
était limité par le
pouvoir législatif et par toutes les libertés publiques.
Les ministres étaient responsables devant le Parlement ; mais
ils étaient nommés par le Roi, et pris en dehors de
l'Assemblée.
Deux
questions surtout agitèrent l'Assemblée et l'opinion,
relativement à
l'étendue du pouvoir royal : celle du droit de paix et de
guerre, et
celle de la sanction des lois.
Sur la première, il fut décidé que
l'initiative de la guerre ou de la paix appartenait essentiellement au
pouvoir exécutif, sous la réserve du consentement de
l'Assemblée.
Mirabeau prononça à cette occasion l'un de ses plus beaux
discours.
Sur
la seconde question, il fut décidé que les lois ne
seraient valables
que lorsque le roi aurait donné sa sanction ; mais on
débattit vivement
sur le temps que pouvait durer son opposition, ou son veto. Les uns le
voulaient absolu, les autres suspensif : ce furent ceux-ci qui
l'emportèrent, et il fut décidé que le refus du
roi de sanctionner la
loi ne pouvait s'étendre au delà de deux
législature.
Cette question
du veto fut une de celles qui agitèrent le plus le peuple de
Paris ; ce
fut l'occasion d'un sobriquet grossier que le parti
révolutionnaire
appliqua à la reine.
3° Le pouvoir législatif était confié à
une
Chambre unique et permanente. Les partisans de la monarchie anglaise,
Malouet, Mounier, Clermont-Tonnerre, soutinrent le système des
deux
Chambres ; mais la crainte de voir une chambre haute reprendre et
rétablir les privilèges abolis fit écarter cette
institution, que les
bons esprits considèrent aujourd'hui comme essentielle aux
gouvernements libres. Ajoutons encore que le roi n'avait pas le droit
de dissoudre l'Assemblée : droit qui lui appartient dans tous
les
gouvernements représifs.
4° Le pouvoir judiciaire était électif et ses
fonctions temporaires. Le jury fut introduit dans les causes
criminelles.
5°
Le même principe électif fut appliqué aux fonctions
administratives. Au
lieu d'un préfet ou d'un sous-préfet nommé par le
pouvoir, comme cela
eu lieu plus tard, il y eut un directoire exécutif du
département et un
directoire exécutif du district (arrondissement),
composés l'un et
l'autre de plusieurs membres élus par le peuple. Il en fut de
même des
municipalités, qui dans les communes remplissaient les fonctions
du
maire.
Le pouvoir exécutif était donc partout électif et
divisé,
excepté au centre, où le pouvoir suprême
était décerné à un monarque.
Unité et hérédité au sommet,
élection et division à tous les autres
degrés : cette contradiction est un des vices essentiels de la
Constitution de 91.
Cette Constitution n'était ni républicaine ni
monarchique, ou plutôt elle était à la fois l'une
et l'autre. Elle
établissait la République sous l'apparence de la
Monarchie.
La royauté était désarmée et
annulée, et dans ce fantôme d'autorité le peuple
défiant voyait toujours le pouvoir absolu.
La
Constitution de 91 n'était pas bonne, mais il est douteux qu'une
Constitution meilleure eût eu, en de pareilles circonstances, de
meilleurs effets. On a vu de mauvaises institutions corrigées
dans la
pratique par la sagesse des hommes, et de bonnes rendues impuissantes
par leurs passions. Le moment était venu où les passions
devaient être
plus fortes que toutes les lois.
Déjà avant le vote même de la
Constitution les passions eurent une triste occasion d'éclater :
ce fut
à l'occasion de la fuite du roi.
Depuis
les journées d'octobre, le roi et la reine étaient comme
captifs dans
Paris. Il leur était interdit d'aller même à
Saint-Cloud.
Quelque
bonne volonté que l'on suppose à Louis XVI, il est
difficile de croire
qu'il pût être sincèrement attaché à
une Révolution qui lui ôtait tout
pouvoir, et le retenait prisonnier dans son propre palais.
Le parti
royaliste, après avoir quelque temps essayé de lutter
soit dans
l'Assemblée soit en dehors d'elle, avait commencé
à transporter hors de
France ses intrigues et ses projets. Après le juillet, avait
commencé
la première émigration. Le comte d'Artois, frère
du roi (depuis Charles
X), en avait donné le signal. Depuis, un grand nombre de noble
avaient
suivi.
Les souverains de l'Europe commençaient de leur
côté à
s'émouvoir d'un événement qui mettait en question
les principes sur
lesquels reposaient tous les trônes, et ils
s'intéressaient à un
malheureux prince, qu'ils considéraient comme une victime
opprimée.
Déjà se préparaient dans l'ombre les premiers
plans de coalition.
D'autres
défenseurs, plus avouables pour un prince français, se
rassemblaient en
faveur du roi. C'était l'armée du marquis de
Bouillé, qui, réunie sous
la frontière, près de Montmédy, était toute
prête à agir lorsqu'elle
aurait le roi dans son sein.
Le roi, instruit de toutes ces
circonstances, crut le moment venu de reconquérir sa
liberté ; le juin,
dans la nuit, il s'évada déguisé, avec la reine,
son fils et sa sœur,
et il prit le chemin de la frontière.
Le voyage fut heureux jusqu'à
Varennes, petite ville des Ardennes. Là, le roi fut reconnu,
arrêter,
retenu. Un maître de poste, Drouet, depuis conventionnel, puis
compromis dans la conspiration de Babeuf, et plus tard encore
sous-préfet de l'empire, fut l'auteur de cette arrestation.
L'Assemblée
prévenue envoya trois commissaires pour ramener le roi à
Paris : ce
furent Pétion, Latour-Maubourg et Barnave. Le premier
appartenait au
parti le plus extrême, et fut plus tard un des girondins.
Barnave, le
chef de la gauche à l'Assemblée, commença
dès lors à se rapprocher de
l'autorité royale. Ainsi escortée et sous bonne garde, la
famille
royale revint à Paris.
Pendant son absence, l'Assemblée avait exercé
tous les pouvoirs, et l'on avait fait la dangereuse expérience
que l'on
pouvait se passer de roi.
Une fois le roi rentré dans Paris,
l'Assemblée eut à prononcer si on le mettrait en
jugement, et si l'on
prononcerait la déchéance.
La menace d'une révolution nouvelle dont
on craignait les extrémités rallia toutes les nuances du
parti
royaliste. Barnave et les Lameth devinrent à leur tour les
défenseurs
de ceux dont ils s'étaient fait craindre si longtemps.
L'Assemblée
décida qu'il n'y avait pas lieu à
déchéance. Mais une royauté ainsi
balancée par les votes d'une Assemblée n'a plus de
pouvoir royal que le
nom. Un vote la rétablissait ; un vote pouvait la
détruire.
Les
constitutionnels ne l'emportèrent pas seulement à
l'Assemblée par leurs
votes : ils eurent encore raison de leurs adversaires par la force. Un
rassemblement considérable provoqué au Champ de Mars par
Brissot,
Camille Desmoulins et Danton, chefs populaires du parti
républicain,
fut pour La Fayette et Bailly l'occasion d'une victoire sanglante qui
leur fut depuis amèrement reprochée.
Ce fut dans cette circonstance
que le drapeau rouge fut déployé par Bailly, comme signe
de la
proclamation de la loi martiale. Ce drapeau a donc été
d'abord le
symbole de la répression avant de devenir celui de l'anarchie.
Le
roi, relevé de la suspension dont il avait été
provisoirement frappé
après le retour de Varennes, prêta serment à la
Constitution, le 29
septembre 1791, et il eut ce jour-là un dernier retour de faveur
populaire. On aimait ce prince « Dans une pièce de cette
époque 1792,
de Collot d'Herbois, le futur terroriste, les personnages, au
dénouement, disaient en terminant : (Allons aux Tuileries
contempler
notre bon roi.) » tout en se défiant de lui. On avait
confiance en ses
intentions ; mais l'on craignait ses conseillers et ses
préjugés.
Ce
jour-là, l'Assemblée constituante se sépara,
après deux ans et cinq
mois du travail le plus gigantesque qu'aucune Assemblée
politique eût
jamais entrepris. Elle commit la faute de décider qu'aucun de
ses
membres ne ferait partie de la future Assemblée. C'était
une imprudence
: car le pays allait être encore une fois livré à
une Assemblée toute
neuve, sans expérience et sans responsabilité, qui,
n'ayant pas fait la
Constitution, n'avait pas intérêt à la maintenir.
L'Assemblée
constituante avait fait sa révolution ; l'Assemblée
législative qui lui
succéda, voulut avoir la sienne. La première avait aboli
l'ancien
régime ; la seconde abolit la royauté.
L'Assemblée
législative eut, comme la Constituante, sa droite, son centre,
sa
gauche. Seulement tout avait marché, et la gauche de la
Constituante se
trouvait la droite de la Législative.
La droite se composait de ce
que l'on appelait les Feuillants, ainsi nommés du nom d'un
couvent
attenant aux Tuileries, du côté où est aujourd'hui
la terrasse qui a
longtemps porté ce nom, et qui longe la rue de Rivoli.
C'étaient les
Constitutionnels de toute nuance, recrutés surtout dans l'ancien
parti
de Barnave et de Lameth. Il eut quelques noms distingués,
Mathieu
Dumas, Beugnot, Vaublanc, mais aucun homme éminent.
Le centre, voué
comme dans toutes les Assemblées à suivre le courant le
plus puissant,
n'avait ni opinion fermes, ni ligne de conduite arrêtée,
ni chefs
importants : il fut l'appoint de la gauche, où était
alors l'éclat, le
talent, la puissance, la popularité.
La gauche se composait de ce
qu'on a appelé le parti girondin, parce que plusieurs de ses
membres
étaient députés de la Gironde : Vergniaud,
Gensonné. C'était des
orateurs du parti. Brissot de Warville en était le publiciste ;
Condorcet le philosophe, Roland le sage.
Les Girondin étaient
républicains, mais républicains à peu près
comme les Constitutionnels
étaient royalistes. Ils eussent voulu une république
libérale, légale,
modérée dans ses actes, douce dans ses mœurs, et
même élégante. Ils se
seraient même contentés d'une monarchie où le roi
eût consenti à n'être
qu'un instrument entre leurs mains.
Le centre actif du parti
girondin n'était pas à l'Assemblée, mais dans un
salon, celui de Madame
Roland, l'une des femmes les plus illustre et les plus brillantes de la
Révolution : grande âme, noble esprit, rare talent ;
c'était l'Egérie
du parti. Elle en était la tête et le cœur. De chez elle
partaient tous
les mouvements, toutes les résolutions. En préparant la
république,
elle se préparait à elle-même la prison et
l'échafaud.
Au delà du
parti girondin, il faut compter encore dans l'Assemblée
législative un
parti extérieur, qui, peu puissant au point de vue
parlementaire, était
cependant le plus puissant au dehors : car déjà l'empire
se déplaçait
et c'était dans les clubs que commençait à se
manifester la véritable
puissance.
Les
clubs, expression emprunté à l'Angleterre « Le mot
club signifie
cercle, réunion, et s'applique surtout en Angleterre aux
réunions
privées. », furent un des instruments d'action les plus
énergiques et
les plus funestes de la Révolution. C'étaient des
réunions publiques
régulières et périodiques, qui bientôt se
transformèrent en
associations puissantes, ayant leur siège et leur centre
à Paris et des
affiliations dans tous les départements. Ouverts surtout au
parti
populaire qui y faisait la loi, ils commencèrent
déjà sous la
Législative, et parvinrent bientôt sous la Convention,
à usurper la
souveraineté.
Le premier club avait été le club breton fondé par
des
députés de Bretagne ; il tomba sous l'influence du parti
de Duport,
Lameth et Barnave, chefs du parti populaire, mais royalistes encore
dans la Constituante. En opposition à ce club, les
modérés fondèrent le
club de 89 sous l'influence de La Fayette. Le parti aristocratique
lui-même eut son club, celui des Impartiaux qui ne put se
soutenir
longtemps.
Le club breton devint bientôt le club des Jacobins, du
nom d'un ancien couvent, rue Saint-Honoré, dans lequel cette
société
s'était transportée ; mais elle avait déjà
changé de nature. Fondée par
Duport et Barnave, elle échappa à l'influence de ce parti
pour tomber
entre les mains de Robespierre, lequel en fit plus tard le plus solide
appui de sa puissance.
Les Jacobins furent, pendant toute la
Révolution, une sorte de pouvoir extra-légal, qui,
à côté et souvent
au-dessus des l'Assemblées, eut la plus grande part au
gouvernement.
C'est de là que partirent tous les grands mouvements ; là
se
préparèrent toutes les plus cruelles mesures ; là
régnait sans partage
cette doctrine d'une république dictatoriale, égalitaire
et violente,
qui a pris le nom de jacobinisme : véritable secte, qui a
apporté en
politique une sorte de fanatisme analogue à celui qu'avaient
montré au
XVI° siècle les sectes religieuses.
A côté des jacobins, un autre
club se mit au service des intérêts et des opinions
populaires.
C'étaient les Cordeliers, dont l'empire fut moins long et moins
durable, mais qui eussent aussi leur moment de puissance. Plus violents
que les jacobins à l'origine, les Cordeliers furent surtout un
comité
d'action révolutionnaire, tandis que les Jacobins étaient
un comité de
gouvernement : ceux-ci donnèrent la théorie de la
Révolution ; ceux-là
en furent les instruments. Les premiers obéissaient à
Robespierre ; les
autres à Danton. Mais ce n'est pas le moment de parler en
détail de ces
deux hommes, qui ne sont encore qu'au second plan sous la
Législative,
et qui n'arriveront au premier rôle que sous la Convention.
Jacobins
et Cordeliers appartenaient les uns et les autres au parti
révolutionnaire. Le parti modéré voulut, à
son tour, ressaisir à son
profit une arme qu'il avait lui-même créée, mais
qui s'était retournée
contre lui. De là, sous la Législative, un
troisième club, une
troisième société, celle des Feuillants, qui donna
son nom au parti
royaliste constitutionnel. Mais l'énergie n'était pas
alors du côté des
modérés ; les grandes réunions populaires ne se
recrutent guère parmi
les conservateur. Le club des Feuillants eut peu d'autorité, peu
d'action, et ne servit à rien.
Tandis
qu'à l'intérieur le parti constitutionnel essayait de
lutter contre la
Révolution extrême par les armes légales, au dehors
un autre parti,
celui de l'ancien régime, le parti des princes, des
privilégiés, du
pouvoir absolu, se préparait, par d'autres armes, à
étouffer non
seulement le parti révolutionnaire, mais la révolution
elle-même, dans
ses réformes les plus nécessaires et les plus
légitimes.
Dès le 14
juillet 89, le comte d'Artois frère du roi, les princes de
Condé et de
Conti avaient donné le signal. Plus tard ( 20 juin 1791 ), le
comte de
Provence ( depuis Louis XVIII ) s'était échappé
lors de la fuite de
Varennes, et avait réussi à parvenir jusqu'à
Bruxelles, où il prit le
titre de régent de France. Enfin, la plus grande partie de la
noblesse
et même beaucoup de citoyens craintifs avaient quitté le
territoire,
les uns pour échapper aux dangers de la Révolution, les
autres pour
préparer une revanche. C'est ce qu'on appela l'émigration.
L'émigration
eut son camp à Coblentz, sur les bords du Rhin. C'est là
que se forma
l'armée des princes, l'armée de Condé, comme on
l'appela, toute prête à
coopérer avec l'armée étrangère pour
envahir la France et délivrer le
roi.
L'Assemblée décida que le comte de Provence serait
déchu de ses
droits à la régence, si dans l'intervalle de deux mois il
n'était pas
renté dans le royaume. Par un autre décret, elle
prononça la peine de
mort et la confiscation contre les émigrés
rassemblés en armes au delà
de la frontière. Le roi sanctionna le premier de ces deux
décrets, mais
refusa sa sanction au second. Ce refus, quelques mois plus tard, fut
une des causes de sa déchéance.
Ainsi se préparait pour la France le
double fléau de la guerre civile et de la guerre
étrangère, qui en
exaspérant la Révolution, l'amena à se
défendre par les mesures les
plus terribles et les plus sanglantes.