joris Abadie
Les girondins n'eurent pas seulement la
prépondérance dans l'Assemblée législative
; ils eurent bientôt part au gouvernement. Le roi, après
avoir eu quelque temps un ministre feuillant et constitutionnel, fut
obligé par le vote de l'Assemblée à choisir ses
ministres dans le parti dominant, et l'on vit un roi de France,
né roi absolu, forcé de gouverner avec un
ministère républicain.
Les deux membres les plus importants de ce ministère furent
Roland et Dumouriez, aussi opposés l'un à l'autre que le
peuvent être la vertu et l'intrigue, la conviction et la
versatilité intéressée. Le premier, homme de
caractère, mais sans grand esprit politique, fut ministre de
l'intérieur ; le second, sans scrupules, mais plein de
ressources et d'initiative, fut ministre des affaires
étrangères. Le premier, malgré sa droiture,
eût laissé peu de traces dans l'histoire si son nom
n'eût été lié à celui de Mme Roland.
Le second, malgré son esprit d'intrigue et sa trahison, a
laissé un nom immortel, grâce à un génie
militaire qui quelques mois plus tard sauvait la France.
L'acte le plus important du ministère girondin fut la
déclaration de guerre au roi de Hongrie et de Bohême, chef
de la maison d'Autriche et Empereur d'Allemagne, François II (20
avril 1792 ).
Ce fut cette guerre qui, entreprise pour préserver notre
territoire et nos libertés contre les menaces
étrangères, devint de complication en complication
l'origine des guerres gigantesques qui ont ensanglanté l'Europe
pendant près d'un quart de siècle, et qui ont
élevé d'abord la France au plus haut point de grandeur,
pour la précipiter ensuite dans l'abîme. Heureuse si elle
eût été assez sage pour chasser l'invasion sans
porter à son tour chez les autres peuples la victoire et
l'oppression !
Les souverains de l'Europe n'avaient pu voir sans émotion et
sans effroi un trône absolu menacé par une
révolution sans frein. A Pilnitz, le 27 juillet 1791, ils
avaient jeté les premiers fondements d'une coalition
européenne. Le 2 janvier 1791, un traité d'alliance
offensive et défensive avait été signé
entre l'Empereur et la Prusse.
Cependant l'Autriche « François II, plus tard l'adversaire
et le beau-père de Napoléon I°, venait de
succéder à son père Léopol II, lequel avait
succédé à Joseph II, son frère, l'un et
l'autre fils de l'Impératrice Marie-Thérèse et
frères de la reine Marie-Antoinette. François II
était donc le neveu du roi et de la reine de France. » fut
d'abord la seule puissance qui se mit en avant. Sur les
réclamations de la France, qui s'alarmait de ses armements et de
sa connivence avec les émigrés, elle répondit en
exigeant, pour désarmer, le rétablissement de la
monarchie sur les bases de la déclaration royale du 23 juin
1789, c'est-à-dire la royauté absolue, sauf le
consentement des impôts par les Etats Généraux la
restitution des biens du clergé et le rétablissement des
trois ordres : conditions inacceptables auxquelles il fut
répondu par une déclaration de guerre, que Louis XVI
lui-même vint apporter à la tribune de L'Assemblée.
Les commencements de cette guerre ne furent pas heureux. Un plan
d'action combinée fut d'abord dirigé contre la Belgique,
ou Pays-Bas autrichiens, qui relevaient de l'Empereur. Le plan,
inspiré par Dumouriez, échoua par l'inexpérience
des troupes. Les deux généraux Biron et Dillon furent
repoussés dans une première attaque, l'un à Mons,
l'autre à Tournay. Le premier se replia sur Valenciennes, le
second sur Lille. La Fayette averti se retire à temps.
L'armée française fut alors divisé en deux grands
commandements : l'un à l'ouest sur toute la frontière
belge, sous les ordres de La Fayette ; l'autre à l'est sur la
frontière allemande, sous les ordres de Luckner ; dans cet
état, l'on attendit l'invasion.
Telle était la situation des armées lorsqu'eut lieu
l'insurrection du 10 août.
Depuis la fuite de Varennes, l'abîme se
creusait chaque jour davantage entre le roi et le peuple : Louis XVI ne
régnait plus que par la permission de l'Assemblée.
Ce qui détermina la rupture et la crise finale, ce furent les
décrets votés par l'Assemblée contre les
émigrés et les prêtres réfractaires.
Contre les émigrés, l'assemblée prononçait,
nous l'avons vu, la condamnation à mort par contumace et la
confiscation des biens s'ils n'avaient pas cessé leurs
rassemblements armés au 1° janvier 1792.
Le second décret prononçait également des mesures
rigoureuses contre les ecclésiastiques réfractaires,
c'est-à-dire ayant refusé d'adhérer à la
constitution civile.
Le premier décret pouvait se défendre, au moins contre
les émigrés convaincus d'avoir pris les armes à
l'étranger. Le second était arbitraire et tyrannique, et
commençait à introduire une première classe de
suspects.
Le roi opposa son veto à ces deux décrets ( nov. 91 ) et,
malgré la faiblesse connue de son caractère, il
résista avec ténacité jusqu'à sa chute.
Pour les prêtres surtout, sa conscience religieuse le rendait
inébranlable.
L'année suivante ( mai 92 ), il repousse encore un second
décret contre les prêtres, et un autre décret
ordonnant la formation d'un camp de 2000 fédérés
sous Paris.
Une lettre fière et impérieuse du ministre Roland
révolta le roi. Il se décida à se séparer
du ministère girondin, et à revenir à des
ministres feuillants et constitutionnels. Malheureusement, même
en s'appuyant sur ce parti, il ne s'y livrait pas entièrement et
était soupçonné, non sans raison, de ne vouloir
s'en servir que pour ramener le parti émigré. En
même temps qu'il déclarait la guerre, il s'entendait sous
main avec l'ennemi. La reine communiquait à la cour d'Autriche
les plans militaires de son conseil des ministres et consentait
d'avance au démembrement de la France. Ces graves accusations
ont été malheureusement démontrées par la
publication récente des lettres de Marie-Antoinette. Elle
écrivait au représentant de l'Autriche à
Bruxelles, Mercy d'Argenteau : « M. Dumouriez a le projet de
commencer une attaque par la Savoie et le pays de Liège…
Voilà le résultat du conseil d'hier. Il est bon de
connaître ce projet pour se tenir sur ses gardes . »
L'agent de la reine, le comte de Fersen, lui écrivait : «
La Prusse va bien. Vienne a toujours le projet de démembrement.
»
La rupture était déclarée entre le roi et la
Gironde. Celle-ci commença à parler de
déchéance.
Les premiers échecs de la guerre, qui auraient dû
concilier tous les partis, ne firent, comme il arrive d'ordinaire, que
les exaspérer.
Une défiance réciproque les arma les uns contre les
autres, et la guerre du dehors accéléra les
progrès de la guerre au dedans.
Un premier mouvement populaire eut lieu le 20 juin. Les Tuileries
envahies ; le roi sommé par l'émeute de donner sa
sanction aux décrets, refusa courageusement ; mais il fut
contraint d'humilier sa dignité royale, en mettant sur sa
tête le symbole même de l'insurrection ; le
célèbre bonnet phrygien ; singulière reproduction
d'une humiliation analogue imposée plusieurs siècles
auparavant à l'un de ses prédécesseurs « En
1358, le Dauphin Charles ( depuis Charles V ), régent de France
pendant la captivité du roi Jean, avait vu également son
palais envahi et avait été contraint par Etienne Marcel (
qui peut-être ne voulait que protéger la prince ) à
mettre sur sa tête le chaperon mi-blanc mi-rouge arboré
par l'insurrection. ».
Cette première émeute recula en quelque sorte devant
elle-même, tant était grand encore le prestige de la
royauté. On ne renverse pas en un jour l'œuvre des
siècles.
Six semaines plus tard, tout était prêt pour une nouvelle
insurrection, cette fois pour une insurrection sans faiblesse et sans
pitié. En vain La Fayette avait-il, sans ordres, quitté
son armée pour venir à Paris et essayer de rallier les
forces constitutionnelles ; tout ce qu'il put obtenir fut de ne pas
être mis lui-même en accusation. L'Assemblée
proclama que la patrie était en danger et commença
à s'emparer du pouvoir exécutif. Une troupe
intrépide et déterminée, les
fédérés marseillais, étaient accourus,
apportant un secours décisif à l'insurrection.
Le manifeste insolent et abominable du duc de Brunswick ( 25 juillet
1792 ) fut la dernière étincelle qui mit le feu à
l'incendie « Ce manifeste déclarait que les souverains
alliés venaient détruire l'anarchie en France… que les
habitants des villes qui oseraient se défendre seraient punis,
selon la rigueur de la guerre, que les membres de l'Assemblée
nationale, des districts des départements, de la
municipalité seraient individuellement responsables pour
être jugés militairement sans espoir de pardon ; que si le
château était attaqué, Paris serait livré
à une exécution militaire, etc. ».
Le 10 août, les Tuileries furent de nouveau envahies, mais cette
fois par une foule armée. Les sections des Faubourgs et les
fédérés marseillais marchèrent d'accord.
Une commune insurrectionnelle s'établit à l'Hôtel
de Ville. Danton en était le principal chef.
La Cour, de son côté, avait pour se défendre les
Suisses au nombre de huit ou neuf cents, une troupe de volontaires
royalistes et quelques bataillons bien intentionnés de la garde
nationale ; mais le commandant Mandat ayant été
tué dès l'origine du mouvement, celle-ci resta sans chef
et sans direction, se défiant d'ailleurs de la Cour, tout autant
que des sections insurgées.
La défense des Tuileries étant impossible, le roi, avec
la famille royale, se réfugia dans l'Assemblée.
C'était accepter la déchéance ; mais les amis du
roi espéraient ainsi sauver sa vie.
Les Tuileries, évacués par le pouvoir royal, auraient
dû être livrées sans effusion de sang. Mais en des
crises civiles le moindre incident met aux prises des adversaires
armés. Les Suisses qui restaient dans le château
engagèrent ou subirent un combat inégal, dans lequel ils
furent exterminés.
Le 14 juillet avait renversé l'ancien régime. Le 10
Août renversa la royauté. Cette révolution fut
évidemment moins nationale que la première. Cependant il
n'était pas naturel que le roi conservât la direction
d'une guerre où il allait avoir à combattre ses
frères, ses parents, ses plus fidèles amis, et enfin les
défenseurs armés de son pouvoir. Provoquée par
l'émigration et par l'Europe, la Révolution ne pouvait
avoir confiance qu'en elle-même. Là est l'explication du
10 Août.
Le 10 Août n'en a pas moins été un coup de force,
et non l'acte spontané de la volonté nationale. La France
commençait à s'habituer à ce triste moyen de
résoudre les problèmes politiques, oubliant que la force
est une arme qui se retourne contre celui qui l'emploie, et que la
tyrannie, sous une forme ou sous une autre, est la conséquence
inévitable de l'abus des révolutions.
La révolution du 10 Août fut
souillée par l'un des plus grands crimes dont l'histoire fasse
mention : le massacre des prisons.
Un politique italien, Machiavel, a dit : « Dans un changement de
gouvernement, il faut épouvanter par quelque grand coup les
ennemis du régime nouveau. »
Le grand agitateur Danton, qui avait été, comme substitut
de la Commune de Paris, le principal organisateur du 10 Août, et
qui était devenu depuis ministre de la justice, semble
s'être souvenu du conseil de Machiavel, lorsqu'il
prononça, dit-on, ce mot célèbre : « Il faut
faire peur aux royalistes. »
L'ennemi approchait ; le parti royaliste était tout prêt
à relever la tête. Danton, même avant le 10
août, avait fait déclarer la patrie en danger ( 28 juillet
). Maintenant, pour sauver la Révolution menacée, il
voulut la compromettre par un de ces actes sanglants qui ne permettent
plus ni retour ni composition. La Commune insurrectionnelle
formée dans la nuit du 10 Août, était
composée des éléments les plus violents du parti
révolutionnaire ; ce fut cette nouvelle Commune qui tint
tête à l'Assemblée, et qui a la plus grande part de
responsabilité dans les événements qui allaient se
passer.
Les prisons furent remplies de suspects, et le 2 septembre, au son du
tocsin, commença aux Carmes, à l'Abbaye, à la
Force, à la Conciergerie et dans les autres prisons un massacre
à huis clos, dont les victimes s'élèvent, dit-on,
au nombre moyen de douze à treize cents. Les détenus pour
délits ordinaires furent confondus avec les prisonniers
politiques dans cette horrible exécution.
Les prêtres furent les victimes privilégiées de ces
sanglantes colères. Ce fut par eux qu'on commença. Il
s'en fit un affreux massacre dans la prison des Carmes, rue de
Vaugirard. Le jardin devint leur sépulture.
De là, les assassins passèrent à l'Abbaye,
près de l'église Saint-Germain de Près. Un ignoble
tribunal, présidé par le nommé Maillard, faisait
précéder l'exécution par une parodie de jugement.
Ce mot : « A la Force ! » était le signal de la
condamnation. Le malheureux passait la porte, et tombait sous le
couteau. La rue Sainte-Marguerite était jonchée de corps
et inondée de sang. Une foule de curieux, effrayés,
indignés ou complices assistaient à ce lugubre spectacle.
Les ignobles exécuteurs de cette ironique justice, couverts de
sueur et de sang, allaient dans les cabarets voisins demander au vin la
force de continuer leur odieux ouvrage.
Ni le sexe, ni la beauté, ni l'âge ne furent
épargnés. A la Salpêtrière trente-trois
femmes furent massacrées. On sait le sort de la belle princesse
de Lamballe, dont le corps dépouillé fut
traîné dans la boue, et la tête coupée par
d'horribles harpies. A bicêtre, quatre enfants de quatorze
à seize ans périrent assommés.
Ce massacre dura trois jours « Suivant M.Mortmer-Ternaux (
Histoire de la terreur, p. 320 ), le massacre continua jusqu'au 6
septembre. Il fut imité en province, à Meaux, à
Reims, à Marseille, à Lyon. », au milieu de la
stupeur et de la terreur d'une population indignée, mais muette.
Quelques victimes cependant furent épargnées par une
indulgence aussi arbitraire que l'était la
férocité.
L'assemblée législative, consternée,
désarmée, demeura pendant ce temps dans une lâche
inaction. Le parti girondin eut plus d'éloquence pour s'indigner
après coup du crime commis qu'il n'eut d'énergie pour s'y
opposer. Le comité de vigilance, dirigé par Marat, sut le
paralyser en lançant des décrets d'accusation contre ses
principaux chef, Roland et Brissot.
On voudrait, pour l'honneur de la France, que ce massacre eût une
explosion de fureur populaire, comme il arrive souvent dans les
troubles civils. Malheureusement, il n'est que trop
démontré que cet odieux épisode de notre histoire
révolutionnaire a été un coup
prémédité et organisé par la Commune de
Paris, exécuté par des assassins ivres et
stipendiés. On a les quittances « Voir Mortimer-Termnaux,
Histoire de la Terreur, tome III, page 526. ».
Les journées de septembres n'ont pas seulement
ensanglanté la Révolution ; elle l'ont avilie.
L'histoire de notre révolution est un
mélange étrange d'horreur et de grandeur. Jamais les
partis n'ont été plus affreux ; jamais la patrie ne fut
plus grande. A peine détourne-t-on les yeux des odieuses
journées de septembre, qu'on a devant soi l'invasion
refoulé et le sol délivré. L'Argonne et Valmy,
comme autrefois Denain, sauvent la fortune de la France.
Après les premiers échecs de la campagne, nos troupes,
divisées en deux corps d'armée, sous La Fayette et
Luckner, s'étaient bornés à la défensive,
et s'exerçaient à la guerre par de petits engagements.
Lafayette, après le 10 Août, essaye un instant d'organiser
la résistance contre l'insurrection victorieuse ; mais
abandonné par ses troupes, il passe la frontière et tombe
entre les mains des Autrichiens. Envoyé dans la prison
d'Olmütz, où il demeura cinq années, et où le
dévouement de sa femme vint plus tard le consoler, il fut
délivré par le traité de Campo-Formio ( 1797 ).
Pendant ce temps, la première coalition se formait contre nous.
La Prusse, en vertu de son traité d'alliance, se joignait
à l'Autriche, et le duc de Brunswick entrait en France sans
trouver de résistance. Le 22 août, Longwy capitulait, et
le 2 septembre, le duc entrait à Verdun.
Paris se crut perdu ; quelques ministres demandaient que l'on se
retirât sous Saumur. Un grand capitaine sauva tout : ce fut
Dumouriez.
Dumouriez avait été nommé général en
chef, après le départ de La Fayette. Politique sans
scrupules, c'était un militaire hardi et savant, d'un coup d'œil
juste, d'une résolution ferme ; son camp était à
Sedan.
Au lieu de se replier sur Châlon et Reims, pour attendre les
Prussiens sur la ligne de la Marne, il les devança dans
l'Argonne, dont ils étaient plus près que lui, et dont il
occupa les défilés.
L'Argonne est une partie des Ardennes, un pays de forêt et de
montagnes, difficile à franchir sauf par cinq passages, dont
deux furent fortement occupés par Dumouriez. C'étaient,
disait-il, les Thermopyles de la France « On sait que les
Thermopyles sont un défilé très étroit
entre les montagnes et la mer, qui défend l'entrée de la
Grèce. Le Spartiate Léonidas en défendit ce
passage contre l'armée de Perses avec un courage
héroïque. ».
Cette manœuvre de Dumouriez pouvait être aussi périlleuse
pour lui que pour l'ennemi : car n'ayant occupé que deux
défilés, il courut le risque un instant d'être
enveloppé par les deux autres. Néanmoins ce premier
mouvement retardait la marche des Prussiens ; un second les paralysa
entièrement.
Ayant passé l'Aisne secrètement, il s'était
retiré sur Sainte-Menehould, où il les attendit de
nouveau : c'était leur laisser le chemin libre sur Paris ; mais
c'était en même temps menacer leurs communications et leur
ligne de retraite.
Pendant ce temps, kellermann et Beurnonville venaient à son
secours. Attaqués à Valmy par les Prussiens, ils
soutinrent sans fléchir le choc de l'armée prussienne. La
bataille de Valmy ( 20 septembre 1792 ) ne fut guère qu'une
canonnade, c'est le nom qu'on lui donna ; mais les Prussiens avaient
senti devant eux une résistance invincible. Un grand
poète allemand, Goethe, qui se trouvait dans le camp prussien,
dit le soir, au bivouac, à ceux qui l'entouraient : « En
ce jour a commencé une nouvelle ère de l'histoire du
monde. »
L'armée prussienne, arrêtée dans des succès
qu'elle croyait décisifs, entrée en France avec une
confiance frivole, détrompée maintenant sur les promesses
des émigrés, dépourvue de vivres et de magasins,
surprise par la mauvaise saison, craignant de tout perdre en
poursuivant la marche sur Paris, commença sa retraite le 30
septembre, et à la fin d'octobre avait repassé le Rhin.
Délivrée sur une de ses frontières, la France, sur
d'autres points, prenait l'offensive. Custine s'emparait de Spire, de
Worms et de Mayence ; et au midi, nos armées envahissaient la
Savoie et le comté de Nice.
La coïncidence de ces succès militaires avec les crimes
révolutionnaires a fait croire à quelques-uns des
partisans de la Terreur que ces deux choses sont liées l'une
à l'autre ; mais ce n'est là qu'un sophisme. Si Dumouriez
n'eût pas fait la campagne de l'Argonne ou si cette campagne
avait échoué, ou si les Prussiens étaient
entrés en France avec plus de précautions, le massacre et
la tyrannie n'eussent jamais sauvé la France.
L'une des premières conséquences de
la révolution du 10 Août avait été la
réunion d'une Assemblée nouvelle. Elle fut
convoquée, élue et constituée en six semaines. Le
21 septembre, elle commençait ses délibérations ;
on l'appela la Convention nationale.
Elle a laissé dans l'histoire une trace ineffaçable. Elle
a eu une sorte de grandeur tragique qui n'a rien de comparable dans
aucune histoire. Le Parlement d'Angleterre qui avait condamné
Charles I°, a fini misérablement chassé par les
soldats de Cromwell.
Des partis audacieux, des hommes remarquables et redoutables, des
passions effrénées, des divisions meurtrières, des
résolutions extrêmes, une énergie indomptable, une
tyrannie sanglante, et, au milieu de cela, des mesures sages et des
services durables : telle est l'histoire de la Convention.
La guerre civile étouffée, la guerre
étrangère repoussée, la France opprimée et
ensanglantée : tel est le bilan de cette Assemblée, dont
on peut dire ce que Pascal disait des hommes : « S'il se vante,
je l'abaisse, je le vante ; et je le contredis toujours jusqu'à
ce qu'il comprenne qu'il est un monstre incompréhensible. »
On doit distinguer deux périodes dans l'histoire de la
Convention : depuis son origine ( 20 septembre 1792 ) jusqu'au 9
thermidor ( 27 juillet 1794 ) ; depuis le 9 thermidor jusqu'à sa
dissolution ( 26 octobre 1795 ).
Dans la première de ces deux périodes, la Convention
subit le joug du parti révolutionnaire, et son histoire se
confond avec celle du régime que l'on a appelé la
Terreur. Dans la seconde période, les idées sages et
modérées reprennent le dessus ; la Convention fait une
Constitution et réorganise le pays.
La Convention, comme les Assemblées précédentes,
eut une droite, une gauche et un centre ;et, comme pour
l'Assemblée législative, ce fut la gauche de celle-ci qui
devint la droite de celle-là, à savoir les Girondins. La
gauche fut occupée par le parti démocratique et violent
qui, siégeant aux bancs les plus élevés, fut pour
cette raison, appelé la Montagne. Entre les deux, les neutres,
sans esprit de parti, se placèrent au centre, qui prit le nom de
Plaine ou de Marais.
Le premier acte de la Convention fut l'abolition de la royauté
et l'établissement de la République ( 21 septembre 1792 ).
Sur ce premier point, l'Assemblée fut unanime ; mais quelle
république la France se donnerait-elle ? C'est là-dessus
que les factions contraires engagèrent le combat, aussi ennemies
l'une de l'autre qu'elles avaient pu l'être ensemble du parti
monarchique.
Les Girondins et les Montagnards voulaient les uns
et les autres la mais ils ne la voulaient pas de la même
manière.
Les Girondins acceptaient la république ; mais ils
n'étaient pas systématiquement ennemis d'une monarchie
constitutionnelle dont le roi leur eût inspiré confiance.
Les Montagnards détestaient la royauté en
elle-même, comme un privilège attentatoire à la
dignité de l'homme.
Les premiers eussent voulu une république libre, légale
et clémente. Les seconds voulaient une république
dictatoriale et terrible. Peu soucieux de la liberté, ils
tenaient qu'à l'égalité.
Les uns et les autres étaient pour la souveraineté du
peuple ; mais les Girondins entendaient avec raison par le peuple tout
le monde ; pour les Montagnards, par un abus qui dure encore
aujourd'hui, le peuple, c'était la classe ouvrière, la
classe vivant du travail de ses mains : c'était donc à
celle-là seule qu'appartenait la souveraineté ; singulier
renversement des préjugés aristocratiques !
Les Girondins, représentants des départements, voulaient
que ce fût la France tout entière qui fût la
maîtresse d'elle-même. Ils protestaient contre la
domination de la France par Paris, de Paris par les clubs et par la
Commune révolutionnaire.
Les montagnards, au contraire, maîtres de la Commune et des
clubs, et par là maître de Paris, voulaient le
gouvernement de la France par Paris. Les Girondins s'appuyant sur les
départements, on les accusa de fédéralisme et on
leur imputa de vouloir détruire l'unité française.
Cette accusation insidieuse, quoique fausse, fut une de celles qui
firent le plus de mal aux Girondins : tant la France d'alors
était animée par la passion de l'unité nationale !
Une des grandes forces du parti montagnard fut l'état de guerre
où était la France. Tous les peuples, même libres,
ont toujours reconnu la nécessité d'une certaine
concentration de pouvoirs pendant la guerre. Les Girondins n'ayant pas
su ou n'ayant pas pu dominer la situation, leurs adversaires furent
conduis par la force des choses, tout autant que par leur audace,
à se rendre maître du gouvernement.
Les Girondins devinaient ce péril : car leur premier acte fut,
à la Convention, d'accuser Robespierre et Marat, ces deux idoles
du parti populaire. Ils échouèrent, soit pour s'y
être mal pris, soit pour s'y être pris à
contre-temps ; et ce premier échec put faire présager
leur chute prochaine.
C'est le moment de parler avec quelque détail des chefs
redoutés du parti populaire.
La montagne avait à sa tête trois
hommes, d'une réputation sinistre et d'un génie
également quoique diversement terrible : Robespierre, Danton et
Marat. On les appelait le triumvirat « Il y a eu dans la
Révolution trois triumvirats : le premier, sous la Constituante,
celui de Duport, Lameth et Barnave ; le second, dont il est question
ici ; et le troisième qui apparut plus tard : celui de
Robespierre, Saint-Just et Couthon. », quoiqu'ils n'aient jamais
eu d'action commune, et qu'ils fussent plutôt ennemis
qu'alliés.
Robespierre avait établi son empire au club des Jacobins ;
Danton, à la Commune de Paris ; Marat, dans son journal et parmi
le bas peuple.
Le premier se croyait un politique, rêvait une république
à la manière antique, remplissait ses discours des
souvenirs du contrat social ; hypocrite et perfide, il excellait
à répandre les soupçons, à exciter le
peuple contre ses ennemis, à provoquer les mouvements
révolutionnaires sans y prendre part. Il avait le génie
de la haine et du despotisme.
Danton, plus violent que Robespierre et plus capable de mesures
extrêmes, était aussi plus capable de se modérer
après la victoire : il avait à la fois plus de passion et
plus de bon sens. Robespierre avait l'esprit de secte, Danton l'esprit
de faction. Il a été le plus puissant organisateur du
gouvernement révolutionnaire ; mais une fois ce gouvernement
établi, et les premiers coup frappés, il eût voulu
qu'il gouvernât avec quelque modération et ne se
détruisît pas lui-même par ses propres excès.
Marat a été le fou de la révolution. Il en a
exprimé toutes les fureurs avec un cynisme aveugle, qui
enchantait les foules brutales et ignorantes. L'ivresse du sang, la
frénésie du soupçon, auxquelles il était
constamment en proie, indiquaient chez lui un état mental
analogue à celui qu'on retrouve chez beaucoup
d'aliénés. Robespierre le méprisait ; mais il
était forcé de ménager cette basse idole du
fanatisme révolutionnaire.
Robespierre était intègre ; mais son âme
était étroite et cruelle. Danton était corrompu et
capable de crimes ; mais il n'était pas sans quelque
étincelle de grandeur et de générosité.
Quant à Marat, c'était une âme de boue et de sang,
appartenant à peine à l'humanité.
Tels étaient alors les héros de la Montagne ;
derrière eux se trouvaient, moins en vue, quelques hommes qui
avaient à la fois plus de talents et plus de vertus. De tout ce
mélange est sorti une politique qui a eu sa grandeur, et que
l'on doit à la fois détester pour ses crimes, admirer
pour son patriotisme et son énergie.
Le premier acte de cette politique a été le procès
et la condamnation du roi.
Louis XVI était prisonnier. Serait-il
accusé ? serait-il jugé ? serait-il condamné ?
Telle était la question.
Comme roi constitutionnel, la Constitution de 91 l'avait
déclaré inviolable. Cette Constitution avait en
même temps prévu la déchéance en cas de
trahison. Cette peine semblait donc devoir être la seule dont il
fût passible.
La convention, de son côté, avait été
élue comme assemblée constituante et législative :
elle n'était donc pas un pouvoir judiciaire. De plus, elle ne
pouvait pas à la fois accuser et juger.
Tels étaient les principes de droit qui devaient sauver Louis
XVI. Les raisons d'humanité étaient plus puissantes
encore. Etait-il équitable de punir un prince, né dans le
pouvoir absolu, qui avait cependant lui-même pris l'initiative
des réformes, et avait consenti, fût-ce même avec
quelque résistance, au partage de la souveraineté ?
D'ailleurs, la Révolution, une fois entraînée dans
cette voie sanglante, ne serait-elle pas condamnée à la
suivre jusqu'au bout ?
Les raisons historiques mêmes ne manquaient pas. La
République romaine s'était contentée de
l'expulsion des Tarquins, et elle avait duré. La
république d'Angleterre avait condamné un roi à
mort, et elle avait péri après être devenue la
proie du despotisme militaire : funeste avenir que l'on n'eut pas assez
devant les yeux ; mais il n'y a pas d'expérience pour les
passions.
Toutes ces doctrines furent soutenues à la tribune de la
Convention. Les uns ( c'étaient les députés de
Droite ) invoquèrent l'inviolabilité et dirent que le roi
ne pouvait être jugé par la Convention. Les autres (
c'étaient les Montagnards ) soutinrent qu'en effet le roi ne
devait pas être jugé, mais traité en ennemi et
condamné par les lois de la guerre.
La Convention prit un parti moyen. Elle écarta l'exception
d'inviolabilité, et elle décida qu'elle se constituerait
en tribunal. Elle appela Louis XVI à sa barre et l'invita
à se choisir des défenseurs.
Ces défenseurs furent Target et Tronchet. Le premier refusa ce
funeste devoir. Malesherbes vint lui-même s'offrir pour
défendre son maître. L'avocat de Sèze, avec un
grand courage, s'associa volontairement à lui.
Une fois Louis XVI mis en cause, sa condamnation était
assurée : car il n'était que trop certain qu'il avait eu
des relations avec les émigrés, et exprimé des
vœux en faveur du succès des armées
étrangères. L'histoire même nous apprend
aujourd'hui qu'il avait fait plus que des vœux, et que la Reine
entretenait des négociations secrètes avec l'ennemi.
Plusieurs moyens furent essayés pour sauver Louis XVI. Les
Girondins proposèrent d'abord l'appel au peuple, puis, lorsque
le roi eut été déclaré coupable, la mort
avec sursis. Tous ces moyens termes furent écartés. La
peine de mort fut votée à une majorité de
vingt-six voix.
Ce cruel verdict, auquel les Girondins eurent la faiblesse de
participer, contre leur propre sentiment, fut exécuté le
21 janvier 1793 sur la place de la Révolution, aujourd'hui place
de la Concorde.
Le roi, après un déchirant adieu à sa famille,
alla au supplice courageusement ; il mourut avec piété et
dignité.
Ses ennemis l'avait appelé le tyran. Jamais homme n'a moins
mérité que lui un tel titre. Louis XVI était fait
pour être un roi constitutionnel ; mais ni ses amis ni ses
ennemis n'étaient disposés à se contenter de cette
transaction entre les passions contraires : il mourut victime des uns
et des autres.
Après la campagne de l'Argonne et la
bataille de Valmy qui avaient décidé la retraite des
Prussiens, Dumouriez reprit le plan, qui avait échoué
dans la campagne précédente, d'une invasion de la
Belgique.
Cette conquête fut l'affaire d'un mois. Le 28 octobre 92, il
envahissait les Pays-Bas. Le 6 novembre, il remportait la brillante
victoire de Jemmapes. Le 7 il entrait à Mons, le 14 à
Bruxelles, le 28 à Liège, pendant que ses lieutenants
s'emparaient de Namur et d'Anvers.
Cette brillante conquête n'eut malheureusement pas les
résultats qu'on pouvait espérer. La mort du roi avait
multiplié nos ennemis ; notamment l'Angleterre et l'Espagne
s'étaient associées à la coalition. La
République allait donc avoir la moitié de l'Europe contre
elle, et il lui fallait à la fois surveiller toutes ses
frontières.
Dumouriez néanmoins crut avoir le temps de poursuivre ses
conquêtes et d'ajouter celle de la Hollande à celle de la
Belgique. Fatigué déjà du parti jacobin, il
espérait bientôt pouvoir faire la loi à la
Convention et servir d'arbitre entre la France et l'Europe.
L'invasion de la hollande fut d'abord aussi heureuse que celle de la
Belgique, et sans doute le succès de cette nouvelle
expédition eût été aussi rapide que la
première. Malheureusement, pendant que Dumouriez marchait en
avant, les Autrichiens, reprenant à leur tour l'offensive,
s'avançaient sur ses derrières, entraient en Belgique, et
repoussaient le général Miranda et ses corps
d'armée jusque sur Louvain.
Ainsi la Hollande n'était pas conquise, et la Belgique pouvait
être perdue. Dumouriez revint sur ses pas. Bientôt, vaincu
lui-même à Neerwinden ( 18 mars 93 ), il fut obligé
d'évacuer la Belgique elle-même.
De graves dissentiments s'étaient élevés entre lui
et les Jacobins. Ceux-ci voulaient porter la Révolution partout
avec eux ; ils avaient envoyé des agents pour
révolutionner la Belgique et y introduire le régime qui
faisait trembler la France. Dumouriez, plus sage, voulait
ménager les Pays-Bas et leur donner la liberté sans leur
imposer la Révolution.
En outre, Dumouriez prétendait qu'on lui désorganisait
ses armées, et il supportait impatiemment le joug de la
Convention ; ses succès militaires lui firent croire qu'il
était le maître de l'armée et qu'il en ferait ce
qu'il voudrait. Il espéra qu'elle le suivrait dans une marche
contre Paris, pour détruire la République et
rétablir une monarchie.
Ces projets étaient impraticables sans la complicité de
l'ennemi ; car pendant que le général français
eût marché sur Paris, les alliés l'auraient
nécessairement poursuivi, et il se fût trouvé entre
deux feux. Il dut se concerter avec eux et leur promettre la livraison
de quelques places sur la frontière, pour garantir
l'exécution de son plan.
Telle était alors la fatalité de la situation, que
quiconque voulait s'opposer à la marche de la Révolution
était par là même condamné à
s'entendre avec les ennemis de la France.
Bientôt, Dumouriez leva le masque, fit arrêter les
commissaires envoyés contre lui, et essaya de réaliser
les promesses faites aux Autrichiens, en les laissant prendre
possession de quelques places fortes.
Mais son armée, quelque attaché qu'elle lui fût, ne
voulut pas le suivre jusqu'à la trahison. Dumouriez,
resté seul, n'eut de salut que dans la fuite. Il passa la
frontière et se rendit au camp autrichien. Sa carrière
militaire et politique était terminée. Il passa les
dernières années de sa vie, qui fut très longue,
à errer dans le monde, sans action et sans but.
« On ne peut se défendre, dit M. Thiers, d'un profond
regret, à la vue d'un homme dont cinquante années se
passèrent dans les intrigues de cour, trente dans l'exil et
trois seulement « Encore est-ce beaucoup dire ; la
carrière brillante de Dumouriez n'a duré guère
plus d'un an. » furent employées sur un
théâtre digne de son génie. »
Parmi les personnages qui ont marqué dans
la Révolution, l'un des plus énigmatiques a
été Philippe D'Orléans. Descendant du frère
de Louis XIV et du duc d'Orléans régent de France sous la
minorité de Louis XV, il était le chef de la branche
cadette de la maison Bourbon.
Il était entré très avant dans les principes de la
Révolution. Tandis que les frères du roi
émigraient, et que le roi lui-même était prisonnier
au Temple, Philippe d'Orléans se faisait nommer
député de la Convention avec l'appui de Danton et de la
Commune de Paris. Il se faisait affilier au club des jacobins avec son
fils le duc de Chartres ; il prenait le nom de Philippe-Egalité,
siégeait sur les bancs de la Montagne, et votait la mort du roi
sans sursis et sans appel.
Y a-t-il eu sous la Révolution un parti orléaniste ? On
ne saurait en douter, quoique ses traces ne soient visibles dans aucun
événement. Comment ce prince se serait-il condamné
à tant de souffrance et de bassesses, pourquoi les Montagnards
l'auraient-ils accueilli pendant quelque temps parmi eux, s'il n'avait
pas voulu se réserver, ou s'ils n'avaient pas voulu
eux-mêmes le réserver pour une crise suprême, s'il
arrivait à devenir nécessaire ?
Mais cette crise ne se produisit pas, et Philippe-Egalité en fut
pour ses frais d'ostentateur démagogique. Il ne désarma
pas les jacobins, qui l'envoyèrent à l'échafaud.
Compromis par ses relations et celles de son fils avec Dumouriez, il
fut condamné à la même époque que les
Girondins, et fut exécuté le 6 novembre 1793.
Son fils, le duc de Chartres, avait combattu à Valmy et à
Jemmapes. Il quitta la France avec Dumouriez, mais ne voulut pas servir
dans les armées étrangères. Dans son exil, qui
dura vingt années, il mena la vie la plus aventureuse,
jusqu'à ce que le retour des Bourbons en 1814 lui ait rendu son
titre et son rang de prince de sang. En 1830, il devint roi des
Français sous le nom de Louis-Philippe 1°.