DU VRAI

DU BEAU & DU BIEN

PAR

VICTOR COUSIN

Texte commenté par

ANDRE Pierre Jocelyn



PREMIERE PARTIE

DU VRAI

Première leçon



De l'existence de principes universels et nécessaires

Deux grands besoins, celui de vérités absolues, et celui de vérités absolues qui ne soient pas des chimères. Satisfaire ces deux besoins est le problèmes de la philosophie de notre temps. - Des principes universels et nécessaires. - Exemples de tels principes en différents genres. -Discution des principes universels et nécessaires et des principes généraux. - Que l'expérience est incapable d'expliquer toute seule les principes universels et nécessaires, et aussi de s'en passer même pour à la connaissance du monde sensible. - De la raison comme étant celle de nos facultés qui nous découvre ces principes. - Que l'étude des principes universels et nécessaires nous introduit dans les parties les plus hautes de la philosophie.

Aujourd'hui, comme de tout temps, deux grands besoins se font sentir à l'homme.

Le premier, le plus impérieux, est celui de principes fixes, immuables, qui ne dépendent ni des temps ni des lieux ni des circonstances, et où l'esprit se repose avec une confiance illimitée. Dans toutes les recherches, tant qu'on n'a saisi que des faits isolés, disparates, tant qu'on n'a saisi que la raison  commence seulement là où paraissent des lois auxquelles on peut rattacher tous les fais du même ordre que l'observation nous découvre dans la nature. Platon l'a dit : il n'y a point de science de ce qui se passe.

Voici notre besoin. Mais il en est un autre, non moins légitime, le besoin de ne pas être dupe de principes chimériques, de combinaisons plus ou moins ingénieuses, mais artificielles, le besoin de s'appuyer sur la réalité et sur l'expérience. Les sciences physiques et naturelles, dont les conquètes rapides frappent et ébloissent les plus ignorants, doivent leur progrès à la méthode expérimentale. De là l'immence popularité de cette méthode, portée à ce point qu'on ne daignerait pas même aujourd'hui prêter la moindre attention à une science à laquelle cette méthode ne semblerait pas présider.

Unir l'observation et la raison, ne pas perdre de vue l'idéal de la science auquel l'homme aspire, et le chercher et le trouver par la route de l'expérience, tel est le problème de la philosophie.

Or nous nous adressons à vos souvenirs de ces deux dernières années : n'avons nous pas établi, par la méthode expérimentale la plus sévère, qu'il y a dans tous les hommes, sans distinction de savants et d'ignorants, des idées, des notions, des croyances, des principes que le sceptique le plus déterminé peut bien nier du bout des lèvres, mais qui gouvernent lui-même à son insu et malgré lui dans ses discours et dans sa conduite, qu'on trouve en soi pour peu qu'on s'interroge, qui se rencontrent dans l'expérience la plus vulgaire, et en même temps, au lieu d'être circonscrits dans les limites de cette expérience, la surpassent et la dominent, universels au milieu des phénomènes particuliers auxquels ils s'appliquent, nécessaire quoique mêlés à des chose contingentes, infinis et absolus à nos propres yeux, tout en nous apparaissant dans cet être relatif et fini que nous sommes ? Ce n'est point là un paradoxe inattendu que nous vous présentons : nous ne faisons qu'exprimer ici le résultat de nombreuses leçon.

Il ne nous a pas été difficile de faire voir qu'il y a des principes universels et nécessaires à la tête de toutes les sciences.

Il est trop évident qu'il n'y a point de mathématiques sans axiomes et sans définitions, c'est-à-dire sans principe absolus.

Que deviendrait la logique, ces mathématiques de la pensée, si vous lui ôtez un certain nombre de principes, un peu barbares peut-être dans leur forme scolastique, mais qui doivent être universels et nécessaires pour présider à tout raisonnement, à toute démonstration ?  .

LY a-t-il même une physique possible, si tout phénomène qui commence à paraître n'a pas sa cause et sa loi ?

Sans principe des causes finales, la physiologie pourrait-elle faire un seul pas, se rendre compte d'un seul organe, déterminer une seule fonction ?

Le principe sur lequel repose toute morale, le principe qui oblige l'homme de bien et fonde la vertu, n'est-il pas de même nature ? ne s'étand-il pas à tous les êtres moraux sans distinction de temps et de lieu ? Concevez-vous un être moral qui ne reconnaisse au fond de sa conscience que la raison doit commander à la passion, qu'il faut garder la foi jurée, et, contre l'intérêt le plus pressant, restituer le dépôt qui nous a été confié ?

Et ce ne sont là des préjugés métaphysiques et des formules d'écoles ; j'en appelle au sens commun le plus ordinaire.

Si je vous disais qu'un meurtre vient d'avoir lieu, pourriez-vous ne pas me demander quand, où, par qui, pourquoi ? Cela veut dire que votre esprit est dirigé par les principes universels et nécessaire du temps, de l'espace, de la cause et même de la cause finale.

Si je vous disais que c'est l'amour ou l'ambition qui a commis ce meurtre, ne concevriez-vous pas à l'instant même un amant, un ambitieux ? Cela veut dire encore qu'il n'y a pas pour vous d'actes sans agent, de qualité et de phénomène sans substance, sans un sujet réel.

Si je vous disais que l'accusé prétend que ce n'est pas en lui la même personne qui a conçu, voulu, exécuté ce meurtre, et que, dans les intervalles, sa personne s'est plus d'une fois renouvelée, ne diriez-vous pas qu'il est fou s'il est sincère, et que, si les actes et les accidents ont varié, la personne et l'être sont restés les mêmes ?

Supposé que l'accusé se défende sur ce motif, que le meurtre commis doit servir à son bonheur ; que d'ailleurs la personne tuée était si malheureuse que la vie lui était un fardeau ; que la patrie n'y perd rien, puisque, au lieu de deux citoyens inutiles, elle en acquiert un qui lui devient bien plus utile ; qu'enfin le genre humain ne périra pas faute d'un individu, etc. ; à tous ces raisonnements n'opposez-vous pas cette réponse bien simple, que ce meurtre, utile peut-être à son auteur, n'en est pas moins injuste, et quainsi sous nul prétexte il n'était permis ?

Le même bon sens qui admet des vérités universelles et nécessaires les distingue aisément de celles qui ne le sont pas, et qui sont seulement générales, c'est-à-dire ne s'appliquent qu'à un plus ou moins grand nombre de cas.

Par exemple, voici une vérité plus générale : le jour succède à la nuit ; mais est-ce une vérité universelle et nécessaire ? s'étand-elle à tous les pays ? Oui, à tous les pays connus. Mais s'étend-elle à tous les pays possible ? Non ; car il est possible de concevoir des pays plongés dans une nuit éternelle, étant donné un autre système du monde. Les lois du monde sensible sont ce qu'elles sont ; elles ne sont pas nécessaire. Leur auteur aurait pu en choisir d'autres. Avec un autre système du monde, on conçoit une autre physique, mais on ne conçoit ni d'autres mathématique ni une autre morale. Ainsi il est possible de concevoir que le jour et la nuit ne soient plus dans les rapports où nous les voyons : donc cette vérité, le jour succède à la nuit, est une vérité très-générale, peut-être même une vérité universelle, mais non pas une vérité nécessaire.

Montesquieu a dit que la liberté n'est pas un fruit des climats chauds. J'accorde, si l'on veut, que la chaleur énerve l'âme, et que les pays chaud portent difficilement des gouvernements libres ; mais il ne s'ensuit point qu'il n'y ait pas d'exception possible à ca principe : d'ailleur il y en a eu ; ce n'est donc pas un principe absolument universel, et encore bien moins un principe nécessaire. En pouvez-vous dire autant du principe de la cause ? Pouvez-vous concevoir, quelque part, en quelque temps et en quelque lieu, un phénomène qui commence à paraître sans une cause physique ou morale ?

Alors même qu'on détruirait par la pensée tous les êtres pour ne laisser sur leurs débris qu'un seul esprit, on serait forcé de placer dans cet esprit-là, pour peu qu'il exerçât, et l'esprit n'est tel qu'à la condition qu'il s'exerce et qu'il pense, plusieurs principes nécessaires. Combien de fois n'avons-nous pas démontré la vanité des efforts de l'école empirique pour ébranler l'existence ou affaiblir la portée de ces principes ! Ecoutez cette école : elle vous dira que le principe de la cause, donné par nous comme universel et nécessaire, n'est, après tout, qu'une habitude de l'esprit qui, voyant dans la nature un fait suivre un autre fait, met entre les deux cette relation que nous avons appelée la relation de la cause à l'effet. Mais cette explication n'est autre chose que la destruction, non pas seulement du principe des causes, mais de la notion même de cause. Les sens me montrent deux boules, l'une qui commence à se mouvoir, l'autre qui se meut après elle. Supposez que cette succession se renouvelle et persiste, ce sera la constante ajoutée à la succession, ce ne sera pas le moins du monde cette connexion spéciale d'une puissance causatrice et de son effet, celle par exemple que la conscience nous atteste dans le moindre effort volontaire. Aussi un empiriste conséquent, tel que Hume, prouve aisément qu'aucune expérience sensible ne donne légitimement l'idée de cause.

Ce que nous disons de la notion de cause, nous pourrions le dire de toutes les notions du même genre. Citons au moins celle de substance et d'unité.

Les sens n'aperçoivent que des qualités, des phénomènes. Je touche l'étendue, je vois la couleur, je sens l'odeur ; mais l'être étendu, coloré, odorant, est-ce que nos sens l'atteignent ? Hume plaisante agréablement là-dessus. Il demande sous lequel de nos sens tombe la substance. Qu'est-ce donc, selon lui et dans le système de l'empirisme que la notion de substance ? Une illusion comme la notion de cause.

Les sens ne donnent pas davantage l'unité ; car l'unité c'est l'identité, c'est la simplicité, et les sens nous montrent tout successif et composé. Les ouvrages de l'art ne possèdent l'unité que parce que l'art, c'est-à-dire l'esprit de l'homme, l'y a mise ; quand à ceux de la nature, si nous l'y apercevons, ce ne sont pas les sens qui la découvrent. L'arrangement des diverses parties d'un objet peut contenir de l'unité, mais c'est une unité d'organisation, une unité idéale et morale que l'esprit seul conçoit et qui échappe aux sens.

Si les sens ne peuvent expliquer de simples notions, ils peuvent bien moins encore expliquer les principes où ces notions se rencontrent, et qui sont universels et nécessaires. En effet, les sens aperçoivent bien tels et tels faits, mais il répugne qu'ils embrassent ce qui est universel ; lexpérience atteste ce qui est, elle n'atteint point à ce qui ne peut pas ne pas être.

Allons plus loin. Non-seulement l'empirisme ne peut expliquer les principes universels et nécessaire ; mais nous prétendons que, sans ces principes, l'empirisme ne peut pas même rendre compte de la connaissance du monde sensible.

Otez le principe des causes, l'esprit humain est condamné à ne jamais sortir de lui-même et de ses propres modifications. Toutes les sensations de l'ouïe, de l'odorat, du goût, de la vue, du toucher, du tact même, ne vous peuvent apprendre quelle est leur cause ni si elles en ont une. Mais rendez à l'esprit humain le principe des causes, admettez que toute sensation, ainsi que tout phénomène, tout changement, tout événement, a une cause, comme évidemment nous ne sommes pas la cause de certaines sensations, et qu'il faut bien pourtant que ces sensations en aient une, nous sommes conduits naturellement à reconnaître à ces sensations des causes différentes de nous-mêmes, et voilà la première notion du monde extérieur. C'est le principe universel et nécessaire des causes qui seul la donne et la justifie. D'autres principes du même ordre l'accroissent et la développent.

Dès que vous savez qu'il y a des objets extérieurs, je vous demande si vous ne les concevez pas dans un lieu qui les contient. Pour le nier, il vous faudrai nier que tout corps est dans un lieu, c'est-à-dire rejeter une vérité de physique, qui est aussi un principe de métaphysique en même temps qu'un axiome du sens commun. Mais le lieu qui contient tel corps est souvent lui-même un corps qui seulement est plus compréhensif que le premier. Ce nouveau corps est à son tour dans un lieu. Ce nouveau lieu est-il aussi un corps ? Alors il est contenu dans un autre lieu plus vaste, et ainsi de suite ; en sorte qu'il vous est impossible de concevoir un corps qui ne soit pas dans un lieu ; et vous arrivez à la conception d'un lieu illimité et infini, qui contient tous les lieux limités et tous les corps possibles ce lieu illimité et infini, c'est l'espace.

Et je vous dis rien là qui ne soit très-simple. Voyez. Niez-vous que cette eau soit dans un verre ? -Niez-vous que ce verre soit dans une salle ? -Niez-vous que cette salle soit dans dans un lieu plus grand, lequel est à son tour dans un autre plus grand encore ? Je puis vous poussez ainsi jusqu'à l'espace infini. Si vous niez une seule de ces propositions, vous les niez toutes, la première comme la dernière ; et si vous admettez la première, la dernière est forcée.

On ne peut supposer que la sensibilité toute seule nous élève à l'idée de l'espace, elle qui ne peut pas même nous donner l'idée première de corps. Il faut donc ici l'intervention d'un principe supérieur.

Comme nous croyons que tout corps est contenu dans un lieu, de même nous croyons que tout événement arrive dans le temps. Concevez-vous un événement qui arrive, si ce n'est dans un point quelconque de la durée ? Cette durée s'étend et s'agrandit successivement aux yeux de votre esprit, et vous finissez par la concevoir illimitée comme l'espace. Niez la durée, vous niez toutes les sciences qui la mesure, vous détruisez toutes les croyances sur lesquelles repose la vie humaine. Il est à peine besoin d'ajouter que la sensibilité toute seule n'explique pas plus la notion du temps que celle de l'espace, lesquelles sont pourtant toutes deux inhérentes à la connaissance du monde extérieur.

L'empirisme est donc onvaincu et de ne pouvoir se passer des principes universels et nécessaires, et de ne pouvoir les expliquer.

Arrêtons-nous : ou tous nos précédents travaux n'ont abouti qu'à des chimères, ou ils nous permettent de considérer comme un point définitivement acquis à la science, qu'il y a dans l'esprit humain, pour quiconque l'interroge sincèrement, des principes réellement empreints du caractère de l'universalité et de la nécessité.

Après avoir établi et défendu l'existence des principes universels et nécessaires, nous pourrions rechercher et poursuivre cette sorte de principes dans toutes les parties des connaissances humaines, et en essayer une classification exacte et rigoureuse. Mais d'illustres exemples nous ont appris à craindre de compromettre des vérités du grand prix en y mêlant des conjectures qui, en faisant briller peut-être l'esprit du philosophe, diminuent aux yeux des sages l'autorité de la philosophie. Nous aussi, à l'exemple de Kant, nous avons, l'année dernière, devant vous, tenté une classification, une réduction même des principes universels et nécessaires, et de toutes les notions qui y sont engagéses. Ce travail n'a pas perdu pour nous son importance ; mais nous ne le reproduirons point. Dans l'intérêt de la grande cause que nous servons, et ne songeant ici qu'à asseoir sur de solides fondements la doctrine qui convient au génie français du XIX° siècle, nous fuirons avec soin tout ce qui pourrait paraître personnel et hasardé ; et, au lieu d'examiner, de critiquer et de remplacer la classification que le philosophe de Koenigsberg a donnée des principes universels et nécessaires, nous préférons, nous trouvons bien autrement utile de vous faire pénétrer davantage dans la nature de ces principes, en vous faisant voir quelle est celle de nos facultés qui nous les découvre, et à laquelle ils se rapportent et correspondent.

Le propre de ces principes, c'est qu'à la reflexion chacun de nous reconnaît qu'il les possède, mais qu'il n'en est pas l'auteur. Nous les concevons et les appliquons, nous ne les constituons point. Interrogeons notre conscience. Rapportons-nous à nous-mêmes, parexemple, les définitions de la géométrie, comme nous le faisons de certains mouvements dont nous nous sentons la cause ? Si c'est moi qui fais les définitions, elles sont donc miennes, je puis donc les défaire, les modifiers, les changer, les anéantir même. Il est certain que je ne le puis. Je n'en suis donc pas l'auteur. Il est aussi démontré que les principes dont nous avons parlé ne peuvent dériver de la sensation variable, bornée incapable de produire et d'autoriser rien d'universel et de nécessaire. J'arrive donc à cette conséquence nécessaire aussi : la vérité est en moi et n'est pas à moi. De même que la sensibilité me met en rapport avec le monde physique, ainsi une autre faculté me met en communication avec des vérités qui ne dépendent ni du monde ni de moi, et cette faculté c'est la raison.

il y a dans l'homme trois facultés générales qui sont toujours mêlées ensemble et ne s'exercent guère que simultanément, mais que l'analyse divise pour les mieux étudier, sans méconnaître leur jeu réciproque, leur liaison intime, leur unité indivisible. La première de ces facultés est l'activité, l'activité volontaire et libre, où paraît surtout la personne humaine, et sans laquelle les autres facultés seraient comme si elles n'étaient pas, puisque nous ne serions pas pour nous-mêmes. Qu'on s'examine au moment où une sensation paraît en nous : on reconnaîtra qu'il n'y a perception qu'autant qu'il y a un degré quelconque d'attention, et que la perception finit au moment où finit notre activité. On ne se rappelle pas ce qu'on a fait dans le sommeil absolu ou dans la défaillance, parce qu'alors on a perdu l'activité, par conséquent la conscience, et par conséquent encore la mémoire. De même, souvent la passion, en nous enlevant la liberté, nous enlève de même coup la conscience de nos actions et de nous-mêmes : alors, pour nous servir d'une expression juste et vulgaire, on ne sait plus ce qu'on fait. C'est par la liberté que l'homme est véritablement homme, qu'il se possède et se gouverne ; sans elle il retombe saos le joug de la nature ; il n'en est qu'une partie plus admirable et plus belle. Mais, en même temps que je suis doué d'activité et de liberté, je suis passif aussi par d'autres endroits ; je subis les lois du monde extérieur ; je souffre et je jouis sans être moi-même l'auteur de mes joies et de mes souffrances ; je sens s'élever en moi des besoins, des désirs, des passions que je n'ai point faites, et qui tour à tour remplissent ma vie de bonheur ou de misère malgré que j'en aie et indépendamment de ma volonté. Enfin, outre la volonté et la sensibilité, l'homme a la faculté de connaître, l'entendement, l'intelligence, la raison, peu importe le nom, au moyen de laquelle il conçoit des vérités d'ordres différents, et entre autres des vérités universelles et nécessaires qui supposent dans la raison, attachés à son exercice, des principes entièrement distincts des impressions des sens et des résolutions de la volonté.

L'activité volontaire, la sensibilité, la raison, sont toutes les trois également certaines. La conscience vérifie l'existence des principes nécessaires qui dirigent la raison tout aussi bien que celle des sensations et des volitions. J'appelle réel tout ce qui tombe sous l'observation. Je souffre : ma souffrance est réelle en tant que j'en ai conscience ; il en est de même de la liberté ; il en est de même de la raison et des principes qui la gouvernent. Nous pouvons donc affirmer que l'existences des principes universels et nécessaires repose sur le témoignage de l'observation, et même de l'observation la plus immédiate et la plus sûre, celle de la conscience.

Mais la conscience n'est qu'un témoin : elle fait paraître ce qui est, elle ne le crée pas. Ce n'est pas parce que la conscience vous l'annonce que vous avez produit tel ou tel mouvement, éprouvé telle ou telle sensation. Ce n'est pas aussi parce que la conscience nous dit que la raison est contraire d'admettre telle ou telle vérité, que cette vérité existe : c'est parce qu'elle existe qu'il est impossible à la raison de ne pas l'admettre. Les vérités qu'atteint la raison, à l'aide des principes universels et nécessaire dont elle est pourvue, sont des vérités absolues : la raison ne les fait point, elle les découvre. La raison n'est pas juge de ses propres principes et n'en peut as rendre compte, car elle ne juge que par eux, et ils sont ses lois à elle-même. Encore bien moins le conscience ne fait-elle ni ces principes, ni les vérités qu'ils nous révèlent ; car la conscience n'a d'autre office ni d'autre puissance que de servir en quelque sorte de miroir à la raison. Les vérités absolues sont donc indépendante de l'expérience et de la conscience, et en même temps elles sont attestées par l'expérience et la conscience. D'une part, c'est dans l'expérience que se déclarent ces vérités, et de l'autre nulle expérience ne les explique. Voilà comment différent et s'accordent l'expérience et la raison, et comment, au moyen de l'expérience même, on arrive à trouver quelque chose qui surpasse.

Ainsi la philosophie que nous enseignons ne repose ni sur des principes hypothétiques ni sur des principes empiriques. C'est l'observation elle-même, mais appliquée à la partie supérieure de nos connaissances, qui nous fournit les principes que nous cherchions, un point de départ à la fois solide et élevé.

Ce point de départ, nous l'avons trouvé, ne l'abandonnons pas. Demeurons-y inébranlablement attachés. L'étude des principes universels et nécessaires, considérés sous leurs divers aspects et dans les grands problèmes qu'ils soulèvent, est presque la philosophie tout entière ; elle la remplit, la mesure, la divise. Si la psychologie est l'étude régulière de l'esprit humain et de ses lois, il est évident que celle des principes universels et nécessaires qui président à l'exercice de la raison est la partie la plus haute de la psychologie, ce qu'on appelle en Allemagne la psychologie rationnelle, bien différente de la psychologie empirique. Puisque la logique est l'examen de la valeur et de la légitimité de nos divers moyens de connaître, elle ne peut pas ne pas faire son plus considérable emploi d'apprécier la valeur et la légitimité de principes qui sont les fondements de nos plus importantes connaissances. Enfin la méditation de ces mêmes princepes nous conduit à la théodicée et nous ouvre le sanctuaire de la philosophie, si nous voulons remonter jusqu'à leur véritable source, jusqu'à cette raison souveraine, première et dernière explication de la nôtre.


   .



accueil