LES MAITRES DE LA PENSEE MODERNE



DESCARTES


Son caractère et son génie. « 1° ouvres inédites de Descartes, publiées par M.Foucher de Careil. 2° Descartes, sa vie, ses travaux, ses découvertes avant 1637, par M.Millet. 3° Précurseurs et Disciples de Descartes, par emile Saisset. 5° Histoire de la philosophie cartésienne, par M. Francisque Bouillier troisième édition. Depuis que ce travail a été publié, il a paru encore un ouvrage important à signaler sur ce sujet : Descartes, par Louis Liard, recteur de l'Académie de Caen, 1882. Voyer la note à la fin de ce chapitre. ».

En 1637, paraît le Discours de la Méthode, suivi de la géométrie et des météores. Descartes avait quarante et un ans. A partir de cette date, il appartient à la publicité et à l'histoire. D'autres écrits suivent les précédents : son école se fonde. Les universités se remplissent de ses adhérent. L'Eglise, passagèrement hostile, s'autorise et se couvre de ses doctrines. Tous les savants de l'Europe le consultent. Les princesses et les reines se mettent à son école. C'est alors que, dans toute la force de l'âge et du génie, dans toute la splendeur de sa gloire. Il meurt à Stockholm, au milieu du siècle, en 1650, à l'âge de cinquante-quatre ans.
Si rien n'est plus connu que l'histoire de Descartes à partir de la date célèbre de cette première publication, rien au contraire ne l'est moins que son histoire antérieur. La publication de 1637 ne peut pas être considérée comme un premier essai de jeune homme : c'est au contraire une oeuvre de maître, un coup de génie, qui dès le premier instant place Descartes au nombre des conquérants et des dominateurs de la science. Une révolution logique et philosophique, l'invention d'une science toute nouvelle, la géométrie analytique, telles étaient les deux oeuvres capitales que ce débutant apportait au monde savant. Ces livres, bien loin d'être le commencement, n'étaient au contraire que la conclusion et le couronnement d'immenses travaux que jusqu'alors Descartes n'avait faits que pour lui-même, et dont il donnait maintenant la meilleure partie au public. On voit encore, par le Discours de la méthode, que Descartes, sans avoir encore rien publié, était déjà célèbre. Ses conversations, ses conférences, ses correspondances, avaient donné de lui la plus haute idée à tous les savants qui le connaissaient ; de proche en proche son nom s'était répandu, et une grande attente s'attachait à lui. On le pressait de tous les côtés de faire connaître ses découvertes, de publier ses écrits, et, ce qui est rare, l'attente, bien loin d'être déçue, était dépassée ; la gloire la plus éclatante, le succès le plus rapide, récompensaient ses laborieux efforts.
C'est donc un travail aussi intéressant que neuf de nous faire connaître Descartes avant sa gloire et son triomphe, avant ses premiers écrits, de l'étudier dans l'enfantement progressif de ses pensées, d'expliquer et de commenter par les circonstances précises de sa vie l'histoire psychologique qu'il raconte lui-même dans son premier chapitre du Discours de la Méthode ; et c'est ce travail qui vient d'être fait par un jeune professeur de l'Université, sous ce titre : Descartes, sa vie, ses travaux, ses découvertes avant 1637. L'auteur, M.Millet « L'auteur de ce travail, M.Millet, a malheureusement été enlevé à la science par une mort prématurée. », s'est appliqué à ce travail avec une conscience et une ardeur des plus louables. Il est difficile d'aimer son oeuvre plus qu'il ne le fait, ce qui est une condition de bien faire ; non seulement il a consulté les documents imprimés, mais il a écrit partout où l'on avait pu conserver quelques vestiges de Descartes, en Hollande, en Suède, en Angleterre ; il a recueilli quelques faits nouveaux, et a profité surtout avec habileté et discernement des trois sources les plus importantes qu'il eût à sa disposition : la correspondance de Descartes, la Vie de Descartes, par Baillet, les Fragments inédits découverts et publiés par M.Foucher de Careil.
Sans contester ce que l'auteur a pu ajouter par ses connaissances philosophiques et scientifiques à la Vie de Descartes de Baillet, je crois toutefois qu'on le trouvera sévère à l'égard de ce livre, et qu'il ne me paraît pas reconnaître suffisamment tout ce qu'il lui doit. Il l'accuse d'être emphatique, lourd, de manquer de critique, de discernement philosophique. Je le veux bien ; mais ce n'est pas une raison pour nier le mérite de cet estimable ouvrage. Sans doute Baillet est un écrivain naïf et peu exercé, il a la phrase longue, le récit diffus et beaucoup d'autres défauts ; mais il est consciencieux, il a consulté toutes les sources qui étaient à sa disposition, et il les a indiquées avec précision. Son récit un peu lent ne laisse pas que d'être vivant par le détail et par les circonstances qu'il déroule devant nous ; ce n'est pas une biographie, ce sont des mémoires, et ces mémoires sont d'une lecture attachante, comme tout ce qui nous fait pénétrer dans l'intimité des hommes célèbres. Nous y voyons non seulement la vie particulière de Descartes, mais les circonstances générales dans lesquelles il a vécu. Rien ne nous autorise à révoquer en doute l'exactitude des faits rappelés par Baillet, car M.Millet, si sévère qu'il soit, n'a pu y relever une seule erreur. Quant aux travaux scientifiques et philosophiques, Baillet, il faut le reconnaître est plutôt un témoin passif qu'un critique : il rapporte plus qu'il ne juge ; mais en cela même il prouve son bon sens, et il a encore pour nous cet important avantage d'avoir eu entre les mains des écrits de Descartes que nous n'avons plus, ou que nous n'avons qu'en partie : les extraits qu'il nous en donne ont donc une très grande valeur. Enfin le style de Baillet, sans avoir ni éclat ni concision, n'est nullement emphatique, il est naturel ; ce n'est pas le style fier de la société aristocratique de ce temps-là, c'est un style bourgeois, sans grandeur, mais solide, sain, honnête et d'une bonhomie parfaite. La Vie de Descartes de Baillet me paraît de la famille des Mémoires de Fontaine, ce livre excellent et charmant de l'école de Port-Royal.
Indépendamment de la Vie de Descartes et de sa Correspondance, l'auteur a encore eu à sa disposition une autre source récemment découverte, les Fragments inédits, l'une des trouvailles les plus intéressantes de M.Foucher de Careil. C'est peut-être ici le lieu de rappeler en quelques mots l'histoire assez bizarre des papiers de Descartes, que M.Millet nous raconte avec beaucoup de détails : c'est une des parties curieuses et instructives de son livre. Descartes avait laissé deux séries de papiers, les uns en hollande, les autres en Suède. Les papiers de Hollande avaient été confiés par lui, au moment de son départ pour Stockholm, à un de ses amis, M.de Hooghelande. Ils étaient enfermés dans un coffre que l'on ouvrit trois semaines après la mort du philosophe pour en faire l'inventaire. On n'a jamais revu ni cet inventaire ni ces papiers, parmi lesquels devait se trouver, suivant M.Millet, le traité du Monde, le plus complet ouvrage de Descartes. Notre jeune et ardent critique s'est mis courageusement à la recherche de ces papiers perdus, et il ne désespère pas un jour de les retrouver.
Quant aux papiers que Descartes avait emportés en Suède avec lui, ils eurent également d'assez fâcheuses aventures. L'inventaire en fut fait par M.Chanut, ambassadeur de France et ami de Descartes, et le tout fut envoyé par lui à son beau-frère, M.Clerselier, un autre ami et disciple du philosophe, qui habitait Paris. Ils furent chargés sur un bateau qui accomplit heureusement la longue traversée de Stockholm à Paris ; mais à Paris même, près du Louvre, le bateau sombra, et les papiers allèrent au fond de la seine, où ils restèrent trois jours. Après qu'ils eurent été repêchés, ils furent confiés à des domestiques peu intelligents qui les firent sécher pêle-mêle sur des cordes, et les remirent à Clerselier dans le plus grand désordre. C'est avec ces matériaux informe que Clerselier publia sa première édition des Lettres de Descartes et quelques autres ouvrages ; mais cette édition est bien loin de contenir tous les écrits de Descartes mentionnés dans l'inventaire de Stockholm. Parmi ces divers écrits, qui ont encore été entre les mains de Baillet, se trouvait un Cahier-Journal ( de 1616 à 1621 ) et quelques fragments de physique et de mathématiques, qui furent vus par Leibniz à son passage à Paris. Sa curiosité extrême pour toutes les raretés philosophiques lui en fit prendre une copie : c'est cette copie que M.Foucher de Careil a retrouvée à Hanovre et qu'il a publiée sous le titre de Fragments inédits.
Enfin, dans le dénombrement des sources diverses que l'auteur a pu et dû consulter, on ne peut oublier la savante et complète Histoire de la philosophie cartésienne, dont l'auteur, M.Francisque Bouillier, vient précisément de nous donner la troisième édition, encore perfectionnée. Le livre de M.Bouiller est un de ceux qui font le plus d'honneur à l'érudition française en philosophie. C'est un de nos livre que l'Allemagne connaît et estime le plus. Si le livre de Bordas-Dumoulin sur le même sujet conserve son originalité soit par la force philosophique, soit par l'étendue des connaissances scientifiques, celui de M.Bouiller est supérieur par l'étendue des recherches, et aussi par la savante et heureuse ordonnance de la composition. Le livre de Bordas-Dumoulin est plein d'éclairs ; mais il est incomplet et mal ordonné. La science pure y déborde sur la métaphysique. Dans le livre de M.Francisque Bouiller, toutes les proportions sont observées : les grandes doctrines sont exposées d'une manière complète et lumineuse ; mais c'est surtout le détail des faits que l'auteur a étudié avec une exactitude et une précision supérieure. Il a suivi toutes les vicissitudes du cartésianisme dans tous les pays de l'Europe, et jusqu'à ses dernières ramifications dans le XVIII° siècle. L'histoire littéraire a autant à profiter que l'histoire philosophique dans cet important ouvrage.

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Nous ne voulons pas suivre ici et reproduire pas à pas la biographie de Descartes. On la trouvera fort détaillée soit dans son premier biographe, Baillet, soit dans l'ouvrage de M.Millet. Nous voudrions seulement recueillir quelques traits de cette physionomie, l'une des plus originales et des plus vivantes de l'histoire de la philosophie. Ce spéculatif était homme, et s'intéressait autant que personne à tout ce qui concerne l'homme.
Ainsi l'un des traits qui frappent le plus dans le caractère de Descartes, c'est sa passion des voyages, passion assez rare à son époque, surtout parmi les savants. On peut dire que Descartes a vu toute l'Europe ( la Russie et la Turquie exceptées ). A peine âgé de vingt et un ans, il passe en hollande, en Bavière, puis en Autriche, en Hongrie, en Bohême, d'où il remonte par la Pologne et la Poméranie jusque sur les bords de la Baltique, qu'il longe jusqu'à l'Elbe. Là il s'embarque pour la Frise, rentre en Hollande par le Zuyderzée, repasse par Bruxelles, et revient à Paris. Il ne reste pas longtemps en France. Le voilà parti pour la Suisse, puis pour l'Italie ; il visite Venise et Rome, revient encore en France pour s'échapper encore et cette fois se fixer définitivement en Hollande. De là il fait un voyage en Angleterre, un autre en Danemark, rêve d'aller jusqu'à Constantinople, et enfin, sollicité par la reine Christine, passe en Suède où sa poitrine délicate ne peut pas supporter les rigueurs du climat et où il meurt.
On pourrait croire que pendant le séjour prolongé qu'il a fait en Hollande, Descartes sera resté un peu tranquille. Nullement ; sans cesse il changeait de place, et son biographe Baillet, désespérant de pouvoir le suivre pas à pas dans ses continuels changements de domicile, se contente de nous les énumérer en une seule fois, pour ne pas compliquer l'histoire de ses travaux et de son esprit par l'histoire de ses déplacements. « D'Amsterdam, nous dit-il, il alla demeurer en Frise, près de la ville de Franker, en 1629, et il revint la même année à Amsterdam, où il passa l'hivers. S'il exécuta le dessein de son voyage en Angleterre, ce fut en 1631, et il revint achever cette année à Amsterdam. On ne sait pas précisément où il passa l'année 1632, mais, en 1633, il alla demeurer à Deventer, dans la province d'Over-Yssel. De là il retourna à Amsterdam, où il passa une partie de l'année 1631, durant laquelle il fit quelques tours à La Haye et à Leyde. Il fit ensuite le voyage de Danemark, et il revint à Amsterdam, d'où il fit une retraite de quelques mois à Dort. De là il passa une seconde fois à Deventer en 1635. Il retourna ensuite dans la Frise occidental et demeura quelque temps à leuvarden. Il y passa l'hivers, et il revint ensuite à Amsterdam, où il demeura quelques mois, au bout desquels il passa à Leyde. » On se lasse de poursuivre la série de ces déplacements, qui occupent encore dans baillet toute une longue page. Il faut avouer que, pour un homme qui s'était retiré du monde afin d'être tranquille, il employait un singulier moyen. Il est évident que chez Descartes l'esprit pur était en dehors du temps et de l'espace ; mais le corps était toujours en mouvement.
Descartes, faisant lui-même, dans son Discours de la Méthode, sa biographie psychologique et intellectuelle, nous représente ses voyages comme une partie de son entreprise philosophique. Peu satisfait de la science des écoles, il s'était décidé, nous dit-il, « à fermer tous ses livres pour consulter le grand livre du monde ». Je ne doute pas à la vérité que le désir de savoir n'ait été une des raisons qui l'aient conduit ainsi à travers l'Europe dans d'interminables pérégrinations. C'est néanmoins un fait curieux que l'on ne puisse signaler dans sa philosophie que bien peu de traces de cette influence. Cette philosophie est tout abstraite, toute spéculative, tout intérieur. Si l'on ne savait point, par l'ouvrage de Baillet et par la première partie du Discours de la Méthode, que Descartes a vu le monde autant que qui que ce soit, personne ne pourrait le deviner en étudiant sa philosophie. Cette philosophie ne se ressent en aucune manière de ce contact si intime avec la réalité, et elle semble en contradiction avec cette vie agitée. Après avoir tant vu, tant expérimenté, n'est-il pas étrange que la première pensée de notre philosophe ait été que peut-être tout cela n'existe pas ? En général, les hommes qui ont beaucoup vu les choses humaines, qui ont eu le goût du spectacle de la vie, ne sont guère disposés à douter de leurs sens et à considérer la réalité extérieure comme une chimère. Ils douterons plus volontiers des idées pures que de leurs corps et des choses concrètes : c'est le contraire chez Descartes. Comme homme, il a connu de près les choses réelles ; comme philosophe, il s'est renfermé systématiquement dans la région de l'esprit pur.
Que dans sa philosophie spéculative Descartes n'ait rien laissé pénétrer de ce que l'expérience de la vie avait pu lui apprendre, on peut encore se l'expliquer ; mais il semble que cette expérience aurait dû porter ses fruits d'une manière quelconque, et se manifester quelque part. On s'attendrait à rencontrer dans ses écrits une mine de réflexions et de pensées sur les caractères, les moeurs, les opinions, sur les différents peuples, les diverses classes de société, en un mot sur le coeur humain. C'est ce qu'on rencontre dans d'autres philosophes mêlés, comme l'a été Descartes, au monde et aux hommes. Je citerai, par exemple, Aristote et Bacon. Le premier, précepteur d'Alexandre et ayant vécu longtemps à la cour de Philippe, a pu et a dû y acquérir l'expérience de la vie. Aussi cette expérience se manifeste-t-elle d'une manière éclatante dans ses livres. Sa Politique est une merveille de sens pratique en même temps que de génie scientifique ; il réunit le génie de Machiavel au génie de Montesquieu, et les procédés de la politique empirique lui sont aussi familiers que les lois générales de la société. Il en est de même de sa Morale ; ce n'est pas seulement un admirable traité théorique, c'est encore une mine inépuisable d'observation pénétrantes et profondes sur le coeur humain. On pourrait en extraire un ouvrage sur les caractères bien plus beau que celui de Théophraste. Dans sa Rhétorique, la théorie des passions, la peinture des différents âges si souvent reproduites par la poésie, attestent également le moraliste auquel n'a pas manqué, quoi qu'en dise Bacon, « le suc de l'expérience et de la réalité ». Ce dernier philosophe, lui aussi, avait vu de près les choses de la vie réelle. Les Essais de morale et de politique sont le témoignage de cette vivante expérience. Ils nous enseignent l'art de la vie sans excès de scrupule, et comme pourrait le faire un homme du monde versé dans les mystères de ce que l'on appelle la sagesse pratique.
Rien de semblable dans les écrits de Descartes. Il a vu tous les peuples de l'Europe, et cependant il ne laisse jamais échapper un seul trait sur leurs divers caractères, et sur leurs moeurs, bien plus différentes alors qu'aujourd'hui. Même ce bon peuple hollandais, auquel il a demandé la sécurité et la liberté, il n'a pas cherché à nous le peindre, ou, s'il en parle, c'est pour nous dire que les habitants d'Amsterdam ne le trouble pas plus dans ses méditations que ne feraient les arbres d'une forêt « Lettres à Balzac ( ouvres, édit. V. Cousin, tome VI, p. 201) ». Il a vu les cours et les armées, il a étudié les hommes de toutes les conditions et dans toutes les classes de la société ; mais nulle part il n'a songé à nous apprendre ce qu'il avait retiré de ce commerce et ce qu'il pensait des moeurs des courtisans ou des militaires, des bourgeois, du peuple ou des grands. Son Traité des Passions, où l'on pourrait s'attendre à trouver des pensées de ce genre, ne contient qu'une psychologie abstraite, mêlée à une physiologie arbitraire. Sa correspondance si étendue traite presque exclusivement de matières scientifiques ou métaphysiques. On en tirerait à grand'peine un recueil de maximes, de pensées, de réflexions, telles qu'on en trouve chez les moralistes et qui témoigne de la connaissance du monde et de la vie.
Il semble que chez lui le voyageur, l'observateur ait été un autre homme que le savant et l'écrivain, et que ces deux hommes ne se soient jamais mêlés.
Il est impossible encore de ne pas être frappé, quand on lit la vie de Descartes, d'un genre de curiosité qui le caractérise et qui se distingue évidemment de la curiosité scientifique. Il est de ces hommes qui aiment à voir, et ce qu'il aime à voir, ce sont les grands et brillants spectacles, les spectacles accompagnés de pompe, de mouvement et de bruit, goût singulier chez un philosophe contemplatif. Baillet nous le représente courant à Francfort assister au couronnement de l'empereur, fête splendide et luxueuse dont aucune de nos solennités modernes ne pourrait donner une juste idée « Goethe nous décrit également dans ses mémoires la même fête à Francfort, à laquelle il a assisté avec la même curiosité avide de Descartes. ». Il va a Venise pour assister au mariage du doge avec l'Adriatique ; il se rend à Rome pour le jubilé. Il avait également le goût, comme il le dit lui-même, de voir « les cours et les armées ». A La Haye au retour de son voyage d'Allemagne, trois petites cours se partageaient la société distinguée du pays : celle des états-généraux, celle du prince d'orange, celle de la reine de Bohême « Cette reine, alors dépossédée, était la mère de la princesse Elisabeth, avec laquelle Descartes entretint plus tard un commerce philosophique si intéressant ». Descartes les fréquentes toutes les trois. En allant de La Haye à Paris, il s'arrête à Bruxelles pour visiter la cour de la princesse Isabelle. Le voici à Paris ; mais, nous dit Baillet, il apprend que la cour est à Fontainebleau, il part pour Fontainebleau. C'est ce goût de jeunesse qui, venant à se réveiller, le décide à se rendre à la cour de la reine Christine, où il devait trouver la mort. Le même genre de curiosité le conduisit dans les armées, d'abord en Hollande dans l'armée du prince Maurice de Nassau, puis dans celle du duc de Bavière. A Paris, on le voit également partir pour le siège de la Rochelle, afin d'assister à ce spectacle mémorable et extraordinaire.
Malgré son goût avoué pour les cours et les armés, on se méprendrait gravement, si l'on voyait dans Descartes un courtisant ou un soldat. Non, c'est un curieux, un amateur, un contemplateur. Jamais on ne le vit solliciter aucune faveur d'aucun prince, ni même entretenir des relations intimes avec aucun, si ce n'est un commerce philosophique, comme on le vit d'abord avec la princesse Elisabeth et plus tard avec la reine Christine. Quant aux armées, d'après la récit que nous fait Baillet, il en prenait bien à son aise. Il visitait les savants, il méditait tout seul dans les bivouac, tout prêt du reste à se battre quand il le fallait, car il avait l'épée prompte et le coeur ferme, mais plutôt encore par curiosité d'amateur que par amour pour le métier.


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