REVOLUTION FRANCAISE
CHAPITRE XXI à XXX

joris Abadiejoris Abadie

XXI
LA GUERRE

Les girondins n'eurent pas seulement la prépondérance dans l'Assemblée législative ; ils eurent bientôt part au gouvernement. Le roi, après avoir eu quelque temps un ministre feuillant et constitutionnel, fut obligé par le vote de l'Assemblée à choisir ses ministres dans le parti dominant, et l'on vit un roi de France, né roi absolu, forcé de gouverner avec un ministère républicain.
Les deux membres les plus importants de ce ministère furent Roland et Dumouriez, aussi opposés l'un à l'autre que le peuvent être la vertu et l'intrigue, la conviction et la versatilité intéressée. Le premier, homme de caractère, mais sans grand esprit politique, fut ministre de l'intérieur ; le second, sans scrupules, mais plein de ressources et d'initiative, fut ministre des affaires étrangères. Le premier, malgré sa droiture, eût laissé peu de traces dans l'histoire si son nom n'eût été lié à celui de Mme Roland. Le second, malgré son esprit d'intrigue et sa trahison, a laissé un nom immortel, grâce à un génie militaire qui quelques mois plus tard sauvait la France.
L'acte le plus important du ministère girondin fut la déclaration de guerre au roi de Hongrie et de Bohême, chef de la maison d'Autriche et Empereur d'Allemagne, François II (20 avril 1792 ).
Ce fut cette guerre qui, entreprise pour préserver notre territoire et nos libertés contre les menaces étrangères, devint de complication en complication l'origine des guerres gigantesques qui ont ensanglanté l'Europe pendant près d'un quart de siècle, et qui ont élevé d'abord la France au plus haut point de grandeur, pour la précipiter ensuite dans l'abîme. Heureuse si elle eût été assez sage pour chasser l'invasion sans porter à son tour chez les autres peuples la victoire et l'oppression !
Les souverains de l'Europe n'avaient pu voir sans émotion et sans effroi un trône absolu menacé par une révolution sans frein. A Pilnitz, le 27 juillet 1791, ils avaient jeté les premiers fondements d'une coalition européenne. Le 2 janvier 1791, un traité d'alliance offensive et défensive avait été signé entre l'Empereur et la Prusse.
Cependant l'Autriche « François II, plus tard l'adversaire et le beau-père de Napoléon I°, venait de succéder à son père Léopol II, lequel avait succédé à Joseph II, son frère, l'un et l'autre fils de l'Impératrice Marie-Thérèse et frères de la reine Marie-Antoinette. François II était donc le neveu du roi et de la reine de France. » fut d'abord la seule puissance qui se mit en avant. Sur les réclamations de la France, qui s'alarmait de ses armements et de sa connivence avec les émigrés, elle répondit en exigeant, pour désarmer, le rétablissement de la monarchie sur les bases de la déclaration royale du 23 juin 1789, c'est-à-dire la royauté absolue, sauf le consentement des impôts par les Etats Généraux la restitution des biens du clergé et le rétablissement des trois ordres : conditions inacceptables auxquelles il fut répondu par une déclaration de guerre, que Louis XVI lui-même vint apporter à la tribune de L'Assemblée.
Les commencements de cette guerre ne furent pas heureux. Un plan d'action combinée fut d'abord dirigé contre la Belgique, ou Pays-Bas autrichiens, qui relevaient de l'Empereur. Le plan, inspiré par Dumouriez, échoua par l'inexpérience des troupes. Les deux généraux Biron et Dillon furent repoussés dans une première attaque, l'un à Mons, l'autre à Tournay. Le premier se replia sur Valenciennes, le second sur Lille. La Fayette averti se retire à temps.
L'armée française fut alors divisé en deux grands commandements : l'un à l'ouest sur toute la frontière belge, sous les ordres de La Fayette ; l'autre à l'est sur la frontière allemande, sous les ordres de Luckner ; dans cet état, l'on attendit l'invasion.
Telle était la situation des armées lorsqu'eut lieu l'insurrection du 10 août.

XXII
LE 10 AOUT

Depuis la fuite de Varennes, l'abîme se creusait chaque jour davantage entre le roi et le peuple : Louis XVI ne régnait plus que par la permission de l'Assemblée.
Ce qui détermina la rupture et la crise finale, ce furent les décrets votés par l'Assemblée contre les émigrés et les prêtres réfractaires.
Contre les émigrés, l'assemblée prononçait, nous l'avons vu, la condamnation à mort par contumace et la confiscation des biens s'ils n'avaient pas cessé leurs rassemblements armés au 1° janvier 1792.
Le second décret prononçait également des mesures rigoureuses contre les ecclésiastiques réfractaires, c'est-à-dire ayant refusé d'adhérer à la constitution civile.
Le premier décret pouvait se défendre, au moins contre les émigrés convaincus d'avoir pris les armes à l'étranger. Le second était arbitraire et tyrannique, et commençait à introduire une première classe de suspects.
Le roi opposa son veto à ces deux décrets ( nov. 91 ) et, malgré la faiblesse connue de son caractère, il résista avec ténacité jusqu'à sa chute. Pour les prêtres surtout, sa conscience religieuse le rendait inébranlable.
L'année suivante ( mai 92 ), il repousse encore un second décret contre les prêtres, et un autre décret ordonnant la formation d'un camp de 2000 fédérés sous Paris.
Une lettre fière et impérieuse du ministre Roland révolta le roi. Il se décida à se séparer du ministère girondin, et à revenir à des ministres feuillants et constitutionnels. Malheureusement, même en s'appuyant sur ce parti, il ne s'y livrait pas entièrement et était soupçonné, non sans raison, de ne vouloir s'en servir que pour ramener le parti émigré. En même temps qu'il déclarait la guerre, il s'entendait sous main avec l'ennemi. La reine communiquait à la cour d'Autriche les plans militaires de son conseil des ministres et consentait d'avance au démembrement de la France. Ces graves accusations ont été malheureusement démontrées par la publication récente des lettres de Marie-Antoinette. Elle écrivait au représentant de l'Autriche à Bruxelles, Mercy d'Argenteau : « M. Dumouriez a le projet de commencer une attaque par la Savoie et le pays de Liège… Voilà le résultat du conseil d'hier. Il est bon de connaître ce projet pour se tenir sur ses gardes . » L'agent de la reine, le comte de Fersen, lui écrivait : « La Prusse va bien. Vienne a toujours le projet de démembrement. »
La rupture était déclarée entre le roi et la Gironde. Celle-ci commença à parler de déchéance.
Les premiers échecs de la guerre, qui auraient dû concilier tous les partis, ne firent, comme il arrive d'ordinaire, que les exaspérer.
Une défiance réciproque les arma les uns contre les autres, et la guerre du dehors accéléra les progrès de la guerre au dedans.
Un premier mouvement populaire eut lieu le 20 juin. Les Tuileries envahies ; le roi sommé par l'émeute de donner sa sanction aux décrets, refusa courageusement ; mais il fut contraint d'humilier sa dignité royale, en mettant sur sa tête le symbole même de l'insurrection ; le célèbre bonnet phrygien ; singulière reproduction d'une humiliation analogue imposée plusieurs siècles auparavant à l'un de ses prédécesseurs « En 1358, le Dauphin Charles ( depuis Charles V ), régent de France pendant la captivité du roi Jean, avait vu également son palais envahi et avait été contraint par Etienne Marcel ( qui peut-être ne voulait que protéger la prince ) à mettre sur sa tête le chaperon mi-blanc mi-rouge arboré par l'insurrection. ».
Cette première émeute recula en quelque sorte devant elle-même, tant était grand encore le prestige de la royauté. On ne renverse pas en un jour l'œuvre des siècles.
Six semaines plus tard, tout était prêt pour une nouvelle insurrection, cette fois pour une insurrection sans faiblesse et sans pitié. En vain La Fayette avait-il, sans ordres, quitté son armée pour venir à Paris et essayer de rallier les forces constitutionnelles ; tout ce qu'il put obtenir fut de ne pas être mis lui-même en accusation. L'Assemblée proclama que la patrie était en danger et commença à s'emparer du pouvoir exécutif. Une troupe intrépide et déterminée, les fédérés marseillais, étaient accourus, apportant un secours décisif à l'insurrection.
Le manifeste insolent et abominable du duc de Brunswick ( 25 juillet 1792 ) fut la dernière étincelle qui mit le feu à l'incendie « Ce manifeste déclarait que les souverains alliés venaient détruire l'anarchie en France… que les habitants des villes qui oseraient se défendre seraient punis, selon la rigueur de la guerre, que les membres de l'Assemblée nationale, des districts des départements, de la municipalité seraient individuellement responsables pour être jugés militairement sans espoir de pardon ; que si le château était attaqué, Paris serait livré à une exécution militaire, etc. ».
Le 10 août, les Tuileries furent de nouveau envahies, mais cette fois par une foule armée. Les sections des Faubourgs et les fédérés marseillais marchèrent d'accord. Une commune insurrectionnelle s'établit à l'Hôtel de Ville. Danton en était le principal chef.
La Cour, de son côté, avait pour se défendre les Suisses au nombre de huit ou neuf cents, une troupe de volontaires royalistes et quelques bataillons bien intentionnés de la garde nationale ; mais le commandant Mandat ayant été tué dès l'origine du mouvement, celle-ci resta sans chef et sans direction, se défiant d'ailleurs de la Cour, tout autant que des sections insurgées.
La défense des Tuileries étant impossible, le roi, avec la famille royale, se réfugia dans l'Assemblée. C'était accepter la déchéance ; mais les amis du roi espéraient ainsi sauver sa vie.
Les Tuileries, évacués par le pouvoir royal, auraient dû être livrées sans effusion de sang. Mais en des crises civiles le moindre incident met aux prises des adversaires armés. Les Suisses qui restaient dans le château engagèrent ou subirent un combat inégal, dans lequel ils furent exterminés.
Le 14 juillet avait renversé l'ancien régime. Le 10 Août renversa la royauté. Cette révolution fut évidemment moins nationale que la première. Cependant il n'était pas naturel que le roi conservât la direction d'une guerre où il allait avoir à combattre ses frères, ses parents, ses plus fidèles amis, et enfin les défenseurs armés de son pouvoir. Provoquée par l'émigration et par l'Europe, la Révolution ne pouvait avoir confiance qu'en elle-même. Là est l'explication du 10 Août.
Le 10 Août n'en a pas moins été un coup de force, et non l'acte spontané de la volonté nationale. La France commençait à s'habituer à ce triste moyen de résoudre les problèmes politiques, oubliant que la force est une arme qui se retourne contre celui qui l'emploie, et que la tyrannie, sous une forme ou sous une autre, est la conséquence inévitable de l'abus des révolutions.

XXIII
LES JOURNEES DE SEPTEMBRE

La révolution du 10 Août fut souillée par l'un des plus grands crimes dont l'histoire fasse mention : le massacre des prisons.
Un politique italien, Machiavel, a dit : « Dans un changement de gouvernement, il faut épouvanter par quelque grand coup les ennemis du régime nouveau. »
Le grand agitateur Danton, qui avait été, comme substitut de la Commune de Paris, le principal organisateur du 10 Août, et qui était devenu depuis ministre de la justice, semble s'être souvenu du conseil de Machiavel, lorsqu'il prononça, dit-on, ce mot célèbre : « Il faut faire peur aux royalistes. »
L'ennemi approchait ; le parti royaliste était tout prêt à relever la tête. Danton, même avant le 10 août, avait fait déclarer la patrie en danger ( 28 juillet ). Maintenant, pour sauver la Révolution menacée, il voulut la compromettre par un de ces actes sanglants qui ne permettent plus ni retour ni composition. La Commune insurrectionnelle formée dans la nuit du 10 Août, était composée des éléments les plus violents du parti révolutionnaire ; ce fut cette nouvelle Commune qui tint tête à l'Assemblée, et qui a la plus grande part de responsabilité dans les événements qui allaient se passer.
Les prisons furent remplies de suspects, et le 2 septembre, au son du tocsin, commença aux Carmes, à l'Abbaye, à la Force, à la Conciergerie et dans les autres prisons un massacre à huis clos, dont les victimes s'élèvent, dit-on, au nombre moyen de douze à treize cents. Les détenus pour délits ordinaires furent confondus avec les prisonniers politiques dans cette horrible exécution.
Les prêtres furent les victimes privilégiées de ces sanglantes colères. Ce fut par eux qu'on commença. Il s'en fit un affreux massacre dans la prison des Carmes, rue de Vaugirard. Le jardin devint leur sépulture.
De là, les assassins passèrent à l'Abbaye, près de l'église Saint-Germain de Près. Un ignoble tribunal, présidé par le nommé Maillard, faisait précéder l'exécution par une parodie de jugement.
Ce mot : « A la Force ! » était le signal de la condamnation. Le malheureux passait la porte, et tombait sous le couteau. La rue Sainte-Marguerite était jonchée de corps et inondée de sang. Une foule de curieux, effrayés, indignés ou complices assistaient à ce lugubre spectacle.
Les ignobles exécuteurs de cette ironique justice, couverts de sueur et de sang, allaient dans les cabarets voisins demander au vin la force de continuer leur odieux ouvrage.
Ni le sexe, ni la beauté, ni l'âge ne furent épargnés. A la Salpêtrière trente-trois femmes furent massacrées. On sait le sort de la belle princesse de Lamballe, dont le corps dépouillé fut traîné dans la boue, et la tête coupée par d'horribles harpies. A bicêtre, quatre enfants de quatorze à seize ans périrent assommés.
Ce massacre dura trois jours « Suivant M.Mortmer-Ternaux ( Histoire de la terreur, p. 320 ), le massacre continua jusqu'au 6 septembre. Il fut imité en province, à Meaux, à Reims, à Marseille, à Lyon. », au milieu de la stupeur et de la terreur d'une population indignée, mais muette. Quelques victimes cependant furent épargnées par une indulgence aussi arbitraire que l'était la férocité.
L'assemblée législative, consternée, désarmée, demeura pendant ce temps dans une lâche inaction. Le parti girondin eut plus d'éloquence pour s'indigner après coup du crime commis qu'il n'eut d'énergie pour s'y opposer. Le comité de vigilance, dirigé par Marat, sut le paralyser en lançant des décrets d'accusation contre ses principaux chef, Roland et Brissot.
On voudrait, pour l'honneur de la France, que ce massacre eût une explosion de fureur populaire, comme il arrive souvent dans les troubles civils. Malheureusement, il n'est que trop démontré que cet odieux épisode de notre histoire révolutionnaire a été un coup prémédité et organisé par la Commune de Paris, exécuté par des assassins ivres et stipendiés. On a les quittances « Voir Mortimer-Termnaux, Histoire de la Terreur, tome III, page 526. ».
Les journées de septembres n'ont pas seulement ensanglanté la Révolution ; elle l'ont avilie.

XXIV
LA CAMPAGNE DE L'ARGONNE

L'histoire de notre révolution est un mélange étrange d'horreur et de grandeur. Jamais les partis n'ont été plus affreux ; jamais la patrie ne fut plus grande. A peine détourne-t-on les yeux des odieuses journées de septembre, qu'on a devant soi l'invasion refoulé et le sol délivré. L'Argonne et Valmy, comme autrefois Denain, sauvent la fortune de la France.
Après les premiers échecs de la campagne, nos troupes, divisées en deux corps d'armée, sous La Fayette et Luckner, s'étaient bornés à la défensive, et s'exerçaient à la guerre par de petits engagements.
Lafayette, après le 10 Août, essaye un instant d'organiser la résistance contre l'insurrection victorieuse ; mais abandonné par ses troupes, il passe la frontière et tombe entre les mains des Autrichiens. Envoyé dans la prison d'Olmütz, où il demeura cinq années, et où le dévouement de sa femme vint plus tard le consoler, il fut délivré par le traité de Campo-Formio ( 1797 ).
Pendant ce temps, la première coalition se formait contre nous. La Prusse, en vertu de son traité d'alliance, se joignait à l'Autriche, et le duc de Brunswick entrait en France sans trouver de résistance. Le 22 août, Longwy capitulait, et le 2 septembre, le duc entrait à Verdun.
Paris se crut perdu ; quelques ministres demandaient que l'on se retirât sous Saumur. Un grand capitaine sauva tout : ce fut Dumouriez.
Dumouriez avait été nommé général en chef, après le départ de La Fayette. Politique sans scrupules, c'était un militaire hardi et savant, d'un coup d'œil juste, d'une résolution ferme ; son camp était à Sedan.
Au lieu de se replier sur Châlon et Reims, pour attendre les Prussiens sur la ligne de la Marne, il les devança dans l'Argonne, dont ils étaient plus près que lui, et dont il occupa les défilés.
L'Argonne est une partie des Ardennes, un pays de forêt et de montagnes, difficile à franchir sauf par cinq passages, dont deux furent fortement occupés par Dumouriez. C'étaient, disait-il, les Thermopyles de la France « On sait que les Thermopyles sont un défilé très étroit entre les montagnes et la mer, qui défend l'entrée de la Grèce. Le Spartiate Léonidas en défendit ce passage contre l'armée de Perses avec un courage héroïque. ».
Cette manœuvre de Dumouriez pouvait être aussi périlleuse pour lui que pour l'ennemi : car n'ayant occupé que deux défilés, il courut le risque un instant d'être enveloppé par les deux autres. Néanmoins ce premier mouvement retardait la marche des Prussiens ; un second les paralysa entièrement.
Ayant passé l'Aisne secrètement, il s'était retiré sur Sainte-Menehould, où il les attendit de nouveau : c'était leur laisser le chemin libre sur Paris ; mais c'était en même temps menacer leurs communications et leur ligne de retraite.
Pendant ce temps, kellermann et Beurnonville venaient à son secours. Attaqués à Valmy par les Prussiens, ils soutinrent sans fléchir le choc de l'armée prussienne. La bataille de Valmy ( 20 septembre 1792 ) ne fut guère qu'une canonnade, c'est le nom qu'on lui donna ; mais les Prussiens avaient senti devant eux une résistance invincible. Un grand poète allemand, Goethe, qui se trouvait dans le camp prussien, dit le soir, au bivouac, à ceux qui l'entouraient : « En ce jour a commencé une nouvelle ère de l'histoire du monde. »
L'armée prussienne, arrêtée dans des succès qu'elle croyait décisifs, entrée en France avec une confiance frivole, détrompée maintenant sur les promesses des émigrés, dépourvue de vivres et de magasins, surprise par la mauvaise saison, craignant de tout perdre en poursuivant la marche sur Paris, commença sa retraite le 30 septembre, et à la fin d'octobre avait repassé le Rhin.
Délivrée sur une de ses frontières, la France, sur d'autres points, prenait l'offensive. Custine s'emparait de Spire, de Worms et de Mayence ; et au midi, nos armées envahissaient la Savoie et le comté de Nice.
La coïncidence de ces succès militaires avec les crimes révolutionnaires a fait croire à quelques-uns des partisans de la Terreur que ces deux choses sont liées l'une à l'autre ; mais ce n'est là qu'un sophisme. Si Dumouriez n'eût pas fait la campagne de l'Argonne ou si cette campagne avait échoué, ou si les Prussiens étaient entrés en France avec plus de précautions, le massacre et la tyrannie n'eussent jamais sauvé la France.

XXV
LA CONVENTION

L'une des premières conséquences de la révolution du 10 Août avait été la réunion d'une Assemblée nouvelle. Elle fut convoquée, élue et constituée en six semaines. Le 21 septembre, elle commençait ses délibérations ; on l'appela la Convention nationale.
Elle a laissé dans l'histoire une trace ineffaçable. Elle a eu une sorte de grandeur tragique qui n'a rien de comparable dans aucune histoire. Le Parlement d'Angleterre qui avait condamné Charles I°, a fini misérablement chassé par les soldats de Cromwell.
Des partis audacieux, des hommes remarquables et redoutables, des passions effrénées, des divisions meurtrières, des résolutions extrêmes, une énergie indomptable, une tyrannie sanglante, et, au milieu de cela, des mesures sages et des services durables : telle est l'histoire de la Convention.
La guerre civile étouffée, la guerre étrangère repoussée, la France opprimée et ensanglantée : tel est le bilan de cette Assemblée, dont on peut dire ce que Pascal disait des hommes : « S'il se vante, je l'abaisse, je le vante ; et je le contredis toujours jusqu'à ce qu'il comprenne qu'il est un monstre incompréhensible. »
On doit distinguer deux périodes dans l'histoire de la Convention : depuis son origine ( 20 septembre 1792 ) jusqu'au 9 thermidor ( 27 juillet 1794 ) ; depuis le 9 thermidor jusqu'à sa dissolution ( 26 octobre 1795 ).
Dans la première de ces deux périodes, la Convention subit le joug du parti révolutionnaire, et son histoire se confond avec celle du régime que l'on a appelé la Terreur. Dans la seconde période, les idées sages et modérées reprennent le dessus ; la Convention fait une Constitution et réorganise le pays.
La Convention, comme les Assemblées précédentes, eut une droite, une gauche et un centre ;et, comme pour l'Assemblée législative, ce fut la gauche de celle-ci qui devint la droite de celle-là, à savoir les Girondins. La gauche fut occupée par le parti démocratique et violent qui, siégeant aux bancs les plus élevés, fut pour cette raison, appelé la Montagne. Entre les deux, les neutres, sans esprit de parti, se placèrent au centre, qui prit le nom de Plaine ou de Marais.
Le premier acte de la Convention fut l'abolition de la royauté et l'établissement de la République ( 21 septembre 1792 ).
Sur ce premier point, l'Assemblée fut unanime ; mais quelle république la France se donnerait-elle ? C'est là-dessus que les factions contraires engagèrent le combat, aussi ennemies l'une de l'autre qu'elles avaient pu l'être ensemble du parti monarchique.

XXVI
GIRONDINS ET MONTAGNARDS

Les Girondins et les Montagnards voulaient les uns et les autres la mais ils ne la voulaient pas de la même manière.
Les Girondins acceptaient la république ; mais ils n'étaient pas systématiquement ennemis d'une monarchie constitutionnelle dont le roi leur eût inspiré confiance. Les Montagnards détestaient la royauté en elle-même, comme un privilège attentatoire à la dignité de l'homme.
Les premiers eussent voulu une république libre, légale et clémente. Les seconds voulaient une république dictatoriale et terrible. Peu soucieux de la liberté, ils tenaient qu'à l'égalité.
Les uns et les autres étaient pour la souveraineté du peuple ; mais les Girondins entendaient avec raison par le peuple tout le monde ; pour les Montagnards, par un abus qui dure encore aujourd'hui, le peuple, c'était la classe ouvrière, la classe vivant du travail de ses mains : c'était donc à celle-là seule qu'appartenait la souveraineté ; singulier renversement des préjugés aristocratiques !
Les Girondins, représentants des départements, voulaient que ce fût la France tout entière qui fût la maîtresse d'elle-même. Ils protestaient contre la domination de la France par Paris, de Paris par les clubs et par la Commune révolutionnaire.
Les montagnards, au contraire, maîtres de la Commune et des clubs, et par là maître de Paris, voulaient le gouvernement de la France par Paris. Les Girondins s'appuyant sur les départements, on les accusa de fédéralisme et on leur imputa de vouloir détruire l'unité française. Cette accusation insidieuse, quoique fausse, fut une de celles qui firent le plus de mal aux Girondins : tant la France d'alors était animée par la passion de l'unité nationale !
Une des grandes forces du parti montagnard fut l'état de guerre où était la France. Tous les peuples, même libres, ont toujours reconnu la nécessité d'une certaine concentration de pouvoirs pendant la guerre. Les Girondins n'ayant pas su ou n'ayant pas pu dominer la situation, leurs adversaires furent conduis par la force des choses, tout autant que par leur audace, à se rendre maître du gouvernement.
Les Girondins devinaient ce péril : car leur premier acte fut, à la Convention, d'accuser Robespierre et Marat, ces deux idoles du parti populaire. Ils échouèrent, soit pour s'y être mal pris, soit pour s'y être pris à contre-temps ; et ce premier échec put faire présager leur chute prochaine.
C'est le moment de parler avec quelque détail des chefs redoutés du parti populaire.

XXVII
ROBESPIERRE, DANTON ET MARAT

La montagne avait à sa tête trois hommes, d'une réputation sinistre et d'un génie également quoique diversement terrible : Robespierre, Danton et Marat. On les appelait le triumvirat « Il y a eu dans la Révolution trois triumvirats : le premier, sous la Constituante, celui de Duport, Lameth et Barnave ; le second, dont il est question ici ; et le troisième qui apparut plus tard : celui de Robespierre, Saint-Just et Couthon. », quoiqu'ils n'aient jamais eu d'action commune, et qu'ils fussent plutôt ennemis qu'alliés.
Robespierre avait établi son empire au club des Jacobins ; Danton, à la Commune de Paris ; Marat, dans son journal et parmi le bas peuple.
Le premier se croyait un politique, rêvait une république à la manière antique, remplissait ses discours des souvenirs du contrat social ; hypocrite et perfide, il excellait à répandre les soupçons, à exciter le peuple contre ses ennemis, à provoquer les mouvements révolutionnaires sans y prendre part. Il avait le génie de la haine et du despotisme.
Danton, plus violent que Robespierre et plus capable de mesures extrêmes, était aussi plus capable de se modérer après la victoire : il avait à la fois plus de passion et plus de bon sens. Robespierre avait l'esprit de secte, Danton l'esprit de faction. Il a été le plus puissant organisateur du gouvernement révolutionnaire ; mais une fois ce gouvernement établi, et les premiers coup frappés, il eût voulu qu'il gouvernât avec quelque modération et ne se détruisît pas lui-même par ses propres excès.
Marat a été le fou de la révolution. Il en a exprimé toutes les fureurs avec un cynisme aveugle, qui enchantait les foules brutales et ignorantes. L'ivresse du sang, la frénésie du soupçon, auxquelles il était constamment en proie, indiquaient chez lui un état mental analogue à celui qu'on retrouve chez beaucoup d'aliénés. Robespierre le méprisait ; mais il était forcé de ménager cette basse idole du fanatisme révolutionnaire.
Robespierre était intègre ; mais son âme était étroite et cruelle. Danton était corrompu et capable de crimes ; mais il n'était pas sans quelque étincelle de grandeur et de générosité. Quant à Marat, c'était une âme de boue et de sang, appartenant à peine à l'humanité.
Tels étaient alors les héros de la Montagne ; derrière eux se trouvaient, moins en vue, quelques hommes qui avaient à la fois plus de talents et plus de vertus. De tout ce mélange est sorti une politique qui a eu sa grandeur, et que l'on doit à la fois détester pour ses crimes, admirer pour son patriotisme et son énergie.
Le premier acte de cette politique a été le procès et la condamnation du roi.

XXVIII
LE PROCES DU ROI

Louis XVI était prisonnier. Serait-il accusé ? serait-il jugé ? serait-il condamné ? Telle était la question.
Comme roi constitutionnel, la Constitution de 91 l'avait déclaré inviolable. Cette Constitution avait en même temps prévu la déchéance en cas de trahison. Cette peine semblait donc devoir être la seule dont il fût passible.
La convention, de son côté, avait été élue comme assemblée constituante et législative : elle n'était donc pas un pouvoir judiciaire. De plus, elle ne pouvait pas à la fois accuser et juger.
Tels étaient les principes de droit qui devaient sauver Louis XVI. Les raisons d'humanité étaient plus puissantes encore. Etait-il équitable de punir un prince, né dans le pouvoir absolu, qui avait cependant lui-même pris l'initiative des réformes, et avait consenti, fût-ce même avec quelque résistance, au partage de la souveraineté ? D'ailleurs, la Révolution, une fois entraînée dans cette voie sanglante, ne serait-elle pas condamnée à la suivre jusqu'au bout ?
Les raisons historiques mêmes ne manquaient pas. La République romaine s'était contentée de l'expulsion des Tarquins, et elle avait duré. La république d'Angleterre avait condamné un roi à mort, et elle avait péri après être devenue la proie du despotisme militaire : funeste avenir que l'on n'eut pas assez devant les yeux ; mais il n'y a pas d'expérience pour les passions.
Toutes ces doctrines furent soutenues à la tribune de la Convention. Les uns ( c'étaient les députés de Droite ) invoquèrent l'inviolabilité et dirent que le roi ne pouvait être jugé par la Convention. Les autres ( c'étaient les Montagnards ) soutinrent qu'en effet le roi ne devait pas être jugé, mais traité en ennemi et condamné par les lois de la guerre.
La Convention prit un parti moyen. Elle écarta l'exception d'inviolabilité, et elle décida qu'elle se constituerait en tribunal. Elle appela Louis XVI à sa barre et l'invita à se choisir des défenseurs.
Ces défenseurs furent Target et Tronchet. Le premier refusa ce funeste devoir. Malesherbes vint lui-même s'offrir pour défendre son maître. L'avocat de Sèze, avec un grand courage, s'associa volontairement à lui.
Une fois Louis XVI mis en cause, sa condamnation était assurée : car il n'était que trop certain qu'il avait eu des relations avec les émigrés, et exprimé des vœux en faveur du succès des armées étrangères. L'histoire même nous apprend aujourd'hui qu'il avait fait plus que des vœux, et que la Reine entretenait des négociations secrètes avec l'ennemi.
Plusieurs moyens furent essayés pour sauver Louis XVI. Les Girondins proposèrent d'abord l'appel au peuple, puis, lorsque le roi eut été déclaré coupable, la mort avec sursis. Tous ces moyens termes furent écartés. La peine de mort fut votée à une majorité de vingt-six voix.
Ce cruel verdict, auquel les Girondins eurent la faiblesse de participer, contre leur propre sentiment, fut exécuté le 21 janvier 1793 sur la place de la Révolution, aujourd'hui place de la Concorde.
Le roi, après un déchirant adieu à sa famille, alla au supplice courageusement ; il mourut avec piété et dignité.
Ses ennemis l'avait appelé le tyran. Jamais homme n'a moins mérité que lui un tel titre. Louis XVI était fait pour être un roi constitutionnel ; mais ni ses amis ni ses ennemis n'étaient disposés à se contenter de cette transaction entre les passions contraires : il mourut victime des uns et des autres.

XXIX
DUMOURIEZ

Après la campagne de l'Argonne et la bataille de Valmy qui avaient décidé la retraite des Prussiens, Dumouriez reprit le plan, qui avait échoué dans la campagne précédente, d'une invasion de la Belgique.
Cette conquête fut l'affaire d'un mois. Le 28 octobre 92, il envahissait les Pays-Bas. Le 6 novembre, il remportait la brillante victoire de Jemmapes. Le 7 il entrait à Mons, le 14 à Bruxelles, le 28 à Liège, pendant que ses lieutenants s'emparaient de Namur et d'Anvers.
Cette brillante conquête n'eut malheureusement pas les résultats qu'on pouvait espérer. La mort du roi avait multiplié nos ennemis ; notamment l'Angleterre et l'Espagne s'étaient associées à la coalition. La République allait donc avoir la moitié de l'Europe contre elle, et il lui fallait à la fois surveiller toutes ses frontières.
Dumouriez néanmoins crut avoir le temps de poursuivre ses conquêtes et d'ajouter celle de la Hollande à celle de la Belgique. Fatigué déjà du parti jacobin, il espérait bientôt pouvoir faire la loi à la Convention et servir d'arbitre entre la France et l'Europe.
L'invasion de la hollande fut d'abord aussi heureuse que celle de la Belgique, et sans doute le succès de cette nouvelle expédition eût été aussi rapide que la première. Malheureusement, pendant que Dumouriez marchait en avant, les Autrichiens, reprenant à leur tour l'offensive, s'avançaient sur ses derrières, entraient en Belgique, et repoussaient le général Miranda et ses corps d'armée jusque sur Louvain.
Ainsi la Hollande n'était pas conquise, et la Belgique pouvait être perdue. Dumouriez revint sur ses pas. Bientôt, vaincu lui-même à Neerwinden ( 18 mars 93 ), il fut obligé d'évacuer la Belgique elle-même.
De graves dissentiments s'étaient élevés entre lui et les Jacobins. Ceux-ci voulaient porter la Révolution partout avec eux ; ils avaient envoyé des agents pour révolutionner la Belgique et y introduire le régime qui faisait trembler la France. Dumouriez, plus sage, voulait ménager les Pays-Bas et leur donner la liberté sans leur imposer la Révolution.
En outre, Dumouriez prétendait qu'on lui désorganisait ses armées, et il supportait impatiemment le joug de la Convention ; ses succès militaires lui firent croire qu'il était le maître de l'armée et qu'il en ferait ce qu'il voudrait. Il espéra qu'elle le suivrait dans une marche contre Paris, pour détruire la République et rétablir une monarchie.
Ces projets étaient impraticables sans la complicité de l'ennemi ; car pendant que le général français eût marché sur Paris, les alliés l'auraient nécessairement poursuivi, et il se fût trouvé entre deux feux. Il dut se concerter avec eux et leur promettre la livraison de quelques places sur la frontière, pour garantir l'exécution de son plan.
Telle était alors la fatalité de la situation, que quiconque voulait s'opposer à la marche de la Révolution était par là même condamné à s'entendre avec les ennemis de la France.
Bientôt, Dumouriez leva le masque, fit arrêter les commissaires envoyés contre lui, et essaya de réaliser les promesses faites aux Autrichiens, en les laissant prendre possession de quelques places fortes.
Mais son armée, quelque attaché qu'elle lui fût, ne voulut pas le suivre jusqu'à la trahison. Dumouriez, resté seul, n'eut de salut que dans la fuite. Il passa la frontière et se rendit au camp autrichien. Sa carrière militaire et politique était terminée. Il passa les dernières années de sa vie, qui fut très longue, à errer dans le monde, sans action et sans but.
« On ne peut se défendre, dit M. Thiers, d'un profond regret, à la vue d'un homme dont cinquante années se passèrent dans les intrigues de cour, trente dans l'exil et trois seulement « Encore est-ce beaucoup dire ; la carrière brillante de Dumouriez n'a duré guère plus d'un an. » furent employées sur un théâtre digne de son génie. »

XXX
PHILIPPE D'ORLEANS

Parmi les personnages qui ont marqué dans la Révolution, l'un des plus énigmatiques a été Philippe D'Orléans. Descendant du frère de Louis XIV et du duc d'Orléans régent de France sous la minorité de Louis XV, il était le chef de la branche cadette de la maison Bourbon.
Il était entré très avant dans les principes de la Révolution. Tandis que les frères du roi émigraient, et que le roi lui-même était prisonnier au Temple, Philippe d'Orléans se faisait nommer député de la Convention avec l'appui de Danton et de la Commune de Paris. Il se faisait affilier au club des jacobins avec son fils le duc de Chartres ; il prenait le nom de Philippe-Egalité, siégeait sur les bancs de la Montagne, et votait la mort du roi sans sursis et sans appel.
Y a-t-il eu sous la Révolution un parti orléaniste ? On ne saurait en douter, quoique ses traces ne soient visibles dans aucun événement. Comment ce prince se serait-il condamné à tant de souffrance et de bassesses, pourquoi les Montagnards l'auraient-ils accueilli pendant quelque temps parmi eux, s'il n'avait pas voulu se réserver, ou s'ils n'avaient pas voulu eux-mêmes le réserver pour une crise suprême, s'il arrivait à devenir nécessaire ?
Mais cette crise ne se produisit pas, et Philippe-Egalité en fut pour ses frais d'ostentateur démagogique. Il ne désarma pas les jacobins, qui l'envoyèrent à l'échafaud. Compromis par ses relations et celles de son fils avec Dumouriez, il fut condamné à la même époque que les Girondins, et fut exécuté le 6 novembre 1793.
Son fils, le duc de Chartres, avait combattu à Valmy et à Jemmapes. Il quitta la France avec Dumouriez, mais ne voulut pas servir dans les armées étrangères. Dans son exil, qui dura vingt années, il mena la vie la plus aventureuse, jusqu'à ce que le retour des Bourbons en 1814 lui ait rendu son titre et son rang de prince de sang. En 1830, il devint roi des Français sous le nom de Louis-Philippe 1°.



  1. Histoire de la Révolution Française. Chapitre I à X
  2. Histoire de la Révolution Française. Chapître XI à XX
  3. Histoire de la Révolution Française. Chapitre XXXI à XV
  4. Histoire de la Révolution Française. Chapitre XLI à L
  5. Histoire de la Révolution Française. Chapitre LI à LX
  6. Histoire de la Révolution Française. Chapitre LXI conclusion et gravures
  7. Quatrevingt-treize Dessins de la Révolution Française.
  8. L'œuvre de Paul Janet

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