PSYCHOLOGIE.
les opérations intellectuelles : le sentiment et la volonté.

SECTION III
LE SENTIMENT ET LA VOLONTE

L'ancienne philosophie, aussi bien que la philosophie de Descartes que celle de Condillac, n'admettait dans l'âme que deux facultés : l'entendement et la volonté. L'entendement avait pour objet le vrai ; la volonté, le bien. L'entendement était la faculté de recevoir des idées. La volonté était ( l'impression ou le mouvement naturel qui nous porte vers le bien indéterminé et en général. Malebranche, Recherche de la vérité liv.I,ch.I ).
Pour Bossuet, ( vouloir est une action par laquelle nous poursuivons le bien et fuyons le mal. Par exemple, nous désirons la santé et fuyons la maladie. Conn. De Dieu,I,XVIII. ). D'après cette doctrine, ce que nous appelons le sentiment, ou la faculté d'aimer et de désirer, serait la même chose que la volonté, ou faculté de vouloir, de se décider, de se déterminer, de se résoudre. Mais depuis, avec raison, on a distingué le désir et la volonté. Désirer et aimer, c'est-à-dire se porter spontanément et avec plaisir vers un objet, est une chose ; la choisir en connaissance de cause, et même sans désir et sans amour, bien plus, contre le désir et malgré un amour contraire, est une autre chose. La faculté de vouloir n'est donc pas la même chose que la faculté d'aimer et de désirer.
C'est du reste ce qui était implicitement reconnu même dans les écoles antérieures. En effet, Malebranche, après avoir défini la volonté comme nous l ‘avons vu, à savoir, le mouvement qui nous porte vers le bien en général, en distinguait la liberté, qu'il définissait : ( la force qu'a l'esprit de détourner cette impression ou mouvement vers les objets qui lui plaisent, de faire ainsi que nos inclinations naturelles soient terminées à quelque objet particulier ) ; et par conséquent il rétablissait sous le nom de liberté ce que nous appelons volonté. Bossuet disait de même : ( Nous sommes déterminés par notre nature à vouloir le bien en général. Mais nous avons la liberté de notre choix à l'égard des biens particuliers, et c'est ce qui s'appelle le franc arbitre, le libre arbitre, c'est-à-dire la puissance que nous avons de faire ou de ne pas faire une chose ). Ainsi la liberté était pour Bossuet et Malebranche aussi différente de la volonté que pour nous la volonté est différente du sentiment.
Nous appellerons donc sentiment la faculté qui en nous se porte spontanément et naturellement vers les objets, et volonté la faculté de déterminer les mouvements à tel acte et à tel objet.
Il reste toutefois un trait commun entre ces deux facultés, c'est que l'une et l'autre se porte vers le bien, l'une par un mouvement spontané, l'autre par un choix libre.
Une autre similitude, c'est que l'une et l'autre supposent une connaissance au moins confuse de leur objet. Bossuet a dit : ( Nous ne voulons pas sans quelque raison ).
CHAPITRE PREMIER
Le sentiment. -Inclinations personnelles.

214. Sensations et sentiment.
Nous avons appelé phénomènes affectifs ou émotions tous les phénomènes caractérisés par le plaisir et la douleur ( 52 ). Les émotions sont de deux sortes : 1° ou bien elles ont leurs siège dans le corps et leur cause dans l'action des objets extérieurs sur nos organes, et elles conservent alors le nom de sensation ; 2° ou bien elles n'ont pas de siège corporel, et elles ont pour cause une idée, une pensée ; elle s'appellent alors sentiments.
Par exemple, un plaisir des sens, une douleur physique sont toujours localisés quelque part : j'ai froid aux pieds ; j'ai mal à la tête. –Au contraire, lorsque je suis fâché ou joyeux, je ne le suis ni dans le pied, ni dans la tête, ni dans la poitrine. Même un malaise général peut exister à la fois dans toutes les parties du corps ; tandis que la joie et la tristesse ne résident en réalité dans aucune.
De même pour la cause : une fracture, une déchirure vient de l'action du corps sur un organisme ; au contraire, la joie et la tristesse viennent de la pensée ( d'une bonne ou mauvaise nouvelle par exemple ). Je ne suis pas joyeux pour avoir mangé un bon fruit, ni triste pour m'être brûlé : je puis avoir de la joie pendant que mon corps souffre, et de la tristesse pendant qu'il jouit. A la vérité, le plaisir peut rendre joyeux et le douleur rendre triste ; mais on distinguera encore le plaisir de la joie, la douleur de la tristesse.


L'œuvre de Paul Janet