LA FAMILLE

LA VIE DE FAMILLE.
par JANET paul andre ( annoté par ANDRE pierre jocelyn )

famille
mari -
femme
pere mere
enfant
fils
fille
siecle


( annotation Apj, j'apprécie cet ouvrage, car nous y trouvons  une loi naturelle individuelle d'une valeur supérieure à la loi naturelle individuelle qui induit que nous pouvons profiter du fruit de notre travail. La remarque est d'autant plus forte que cette loi se développe en loi naturelle sociale ce qui n'est pas le cas du capitalisme qui rejoint la  loi citée dans cet ouvrage en imposant sa pensée, ce qui revient à nous imposer une forme de cruauté. En d'autres mots, la fuite du néant illusoire et la recherche de l'éternité ne peut se faire qu'au travers d'autrui, et ceci est une des causes premières de nos actes et bien développé nous entraîne à l'extase. Bien que ne faisant pas partie du domaine de la morale, j'aurais aimé trouver plus de détail sur ce que nous nommons le coup de foudre. Cet aspect physique, charnel, qui induit que si l'homme révèle la femme, la femme révèle l'homme. Et j'aurais aimé trouver le niveau de raison de cet écrit, c'est la raison pour laquelle, je rajoute un de mes écrits : " Je pense qu'exister, c'est d'abord prendre conscience de l'unicité de ce qui est. En d'autres termes de prendre conscience de la contance universelle, malgré notre perception ; mais ceci n'est pas ouvert sans un certain degré de raison issue de la réflexion. Si ce n'est, il nous reste la fuite du néant, la communication pour transmettre à l'éternité notre pensée, et si ce n'est, il reste encore un niveau barbare et cruel, qui impose à la matière à l'aide de concept un semblant d'éternité sur la matière.

Tu vie, tu pense et s'élève en toi cette foi, cette croyance qui t'arrache aux lois, aux lourdeurs d'une misère. Ta volonté crée, ces instants de vie et tant mieux s'ils sont partagés pour mieux s'accélérer. L'aurore est de chaque instant, la lumière nous attire et nous éblouie, nul paupière ne peut te protéger de cette vie d'envolée. Ton crie est ta vie, ne perds pas ta voix, sur ce qui n'est pas. Ta douleur est ma douleur, ta joie est ma joie, sans toi je ne suis pas, reste avec moi.)

Messieurs,
Le sujet que j'entreprends de traiter ici est du nombre de ceux où celui qui écoute sait autant et quelquefois plus que celui qui parle. Il y a là pour l'orateur un péril et un avantage : un péril, car dans de telles matières, la nouveauté est impossible et l'originalité dangereuse ; un avantage, car nous aimons tous à entendre parler de ce que nous savons, et la comparaison de nos propres idées à celles que l'on nous propose nous procure un plaisir délicat que n'offrent pas d'ordinaire les matières savantes où la parole tombe de trop haut. D'ailleurs, j'aime les vieilles vérités, sans détester les nouvelles ; j'aime ces grandes banalités qui sont la raison éternelle, la raison pratique, la raison vivante du genre humain. Deux choses m'ont déterminé au choix de mon sujet : son intérêt permanent et universel, et son opportunité. Est-il un homme dont la famille ne soit une partie de la vie, ou présente ou passée ou future, chez qui ce mot prononcé ne fasse vibrer quelque corde, et dont il n'obtienne quelque sourire ou quelque larme ? D'un autre côté, personne n'ignore, même parmi les moins initiés aux terribles agitations morales de ce siècle-ci, que la famille a eu de nos jours des adversaires et des détracteurs, et qu'elle a exercé l'esprit inventif des réformateurs. Sans même parler de ces nouveaux systèmes, dont il ne faut pas exagérer l'importance, quelques esprits peut-être chagrins, peut-être clairvoyants, prétendent voir dans nos moeurs des signes de l'affaiblissement de l'esprit de famille. Ces symptômes n'eussent-ils pas la gravité qu'on leur suppose, c'est assez qu'ils se produisent dans une société pour qu'elle s'inquiète et se prémunisse : il est donc opportun de parler de la famille, soit pour la faire aimer, soit pour la défendre. Voilà nos motifs et voilà notre objet.
Mais quelle méthode emploierons-nous ? La plus rigoureuse et la plus décisive, à ce qu'il semble, serait de prendre à partie nos adversaires, d'écarter leurs objections, de les repousser dans leurs retranchements, et une fois le champ libre, de vous exposer la théorie de la famille dans ses principes, et dans toutes ses conséquences morales ou sociales. Ce serait-là, je crois, Messieurs, la méthode savante : ce n'est pas celle que nous choisirons ; non pour complaire à un auditoire peu préparé aux discussions philosophiques, mais par des raisons plus hautes, que vous approuverez. La polémique, qui est admirable dans l'ordre spéculatif et scientifique, a souvent ses périls dans l'ordre moral. Elle trouble plus qu'elle n'éclaire, et souvent celui qui s'en sert se blesse lui-même de ses propres armes. Il est surtout des sujets, j'ose dire, si susceptibles et si chastes, qu'il y a presque des inconvénients à y avoir trop raison. J'oublierai donc en commençant que la famille a eu ses adversaires ; et, la considérant comme un fait non contesté, j'en ferai l'histoire et non l'apologie : mais de cette histoire, si elle est vraie et fidèle, sortira la meilleure des apologie, celle qui résulte de l'assentiment irréversible d'un coeur bien né en présence de la vérité même.
Quand au plan de ces leçons, j'ai cru qu'il ne pouvait être trop simple. Je traiterai d'abord de la famille en général, puis de chacune des personnes qui la compose, et je terminerai en répondant brièvement et discrètement à quelques objections malsaines qui circulent et planent dans l'atmosphère de notre temps et auxquelles d'habiles écrivains ont prêté l'appui de leur enivrante et cruelle éloquence.
Le sujet de cette première leçon sera donc la vie de famille, son action morale sur l'homme, les épreuves qu'elle lui suscite, les efforts qu'elle exige de sa vertue, les récompenses qu'elle promet à son courage, enfin la part qu'elle a au bonheur et à la sagesse, c'est-à-dire à l'accomplissement de notre destinée terrestre.
Je viens de parler du bonheur : qu'est-ce donc que le bonheur ? question agitée par toutes les écoles de philosophie, que dis-je ? par tous les hommes, et qui sera éternellement discutée, tant qu'il y aura des hommes qui souffre et qui pensent, et tant que les derniers mystères de l'âme et de la vie ne seront pas dévoilés. Sans pénétrer dans ces profondeurs, et en empruntant au bon sens quelques idées très-suffisantes pour le sujet qui nous occupe, je crois pouvoir dire que le caractère le plus incontestable du bonheur, celui auquel tout le monde le reconnaît, c'est la paix ; mais il y a deux sortes de paix : l'une, immobile et obscure, n'est que l'impuissance de vivre et de sentir : c'est la paix de la pierre et du cadavre ; l'autre est un épanouissement harmonieux de toutes les puissances d'un être vivant, sensible et raisonnable. Je ne parle pas de cet ébranlement passager et troublé que l'on appelle le plaisir et que peut éprouver même une créature très-malheureuse, mais de cette joie intime et profonde que procure à l'âme l'exercice d'une activité saine et la satisfaction d'un vrai besoin.
L'une des sources les plus vives et les plus pures du bonheur humain, ce sont les affections ; et parmi les affections, il en est deux qui paraissent entre toutes les autres convenables à notre nature et qui rempliraient le coeur de l'homme, si ce vaste coeur pouvait être rempli : c'est l'amour conjugal et l'amour paternel ou maternel. Ces deux affections répondent à deux besoins inséparables de notre être : le besoin de vivre en autrui, et le besoin de revivre en autrui.
Il n'y a rien de plus terrible pour l'homme que l'isolement : on en a vu la preuve, lorsque, dans ces derniers temps, une philanthropie généreuse ayant conçu des doutes sur la justice d'une peine antique et effroyable, a essayé de lui substituer la peine de la solitude. L'expérience, dit-on, semble avoir démontré que cette peine nouvelle était plus cruelle encore que celle qu'elle voulait remplacer. L'homme ne peut supporter l'isolement, parce que, seul, il ne peut échapper à la pensée de son néant. Voilà pourquoi les hommes batissent des villes, nouent des sociétés, donnent des réunions, courent aux promenades, ou entretiennent des intimités. Mais rien de tout cela ne suffit encore ; ce n'est pas assez de rencontrer au dehors une main amie, une parole sympatique, des coeurs affectueux : ce qui nous pèse surtout, c'est la solitude du foyer domestique, c'est l'intérieur vide et désert, c'est l'absence d'un être fidèle sur qui nous puissions compter dans la maladie, dans la joie, dans le chagrin et au moment suprême. Voilà pourquoi l'on voit souvent l'ami s'unir à l'ami, le frère au frère, et, ce qui est le plus touchant encore, le frère à la soeur et le fils à la mère. Mais ces imitations ou démembrements de la famille ne sont pas toute la famille, ne sont pas la famille même ; ils n'en sont que l'ébauche ou les débris. Il y a une association plus intime encore, voulue par la nature, dans laquelle la faiblesse se marie à la force, la grâce au sérieux, les molles tendresses à la raison austère et le travail au plaisir ; association indispensable à la durée de l'espèce humaine et à la fois pleine d'enchantements pour l'individu.
Et ici il faut bien que je dise quelques mots, je vous en demande pardon, du sentiment qui donne naissance à la famille, sans lequel la famille ne serait pas, et qui doit avoir sa raison d'être, puisqu'enfin nous ne l'avons pas fait et qu'il vient de celui qui a tout fait. Ce sentiment a deux caractères remarquables : une étendue extraordinaire et une puissance singulière de transformation. Il prend l'homme tout entier, par les sens et par l'âme ; et, dans l'âme, il touche, il ébranle toute les facultés, les plus vives et les plus sérieuses, les plus délicates et les plus profondes : l'imagination, l'esprit, le coeur, la raison même ; car, ainsi que l'a dit Pascal, qui n'a pas dédaigné d'écrire sur ce sujet profane des pages admirables : " l'amour et le raison n'est qu'une même chose : c'est une précipitation de pensées qui se porte d'un côté, sans bien examiner tout, mais c'est toujours une raison. Les poètes n'ont donc pas raison de nous dépeindre l'Amour comme un aveugle ; il faut lui ôter son bandeau et lui rendre la jouissance de ses yeux."  L'amour est de tous les sentiments celui qui paraît avoir le plus grand regards vers les côtés mystérieux et indéfinis de notre destinée et de notre être. Voilà pourquoi il s'associe si bien à la poèsie, à la poèsie qui n'est pas seulement l'amusement de l'imagination et l'ornement de l'esprit, mais qui, dans les âmes élevées, est une partie de la vie même. Platon, qui, vous le savez, est le grand philosophe de l'amour, n'a pas craint de l'appeler un enthousiasme et un délire envoyé par les dieux. Je sais que cette exaltation produit souvent les effets les plus déplorables ; mais ce n'est pas la faute du sentiment lui-même, c'est celle de l'homme qui ne sait pas le contenir et le gouverner. Tous nos sentiments, lorsqu'ils s'adressent à un esprit faux et à une volonté ferme, sont susceptibles d'égarements : ce n'est pas une raison pour nier ce qu'il y a de divin en eux. Une société qui ne saurait plus reconnaître cette partie divine des sentiments, quelle que fût sa force extérieure, la splendeur de son luxe et de son industrie, serait une société condamnée à périr. D'ailleurs, l'exaltation est loin d'être indispensable au sentiment de l'amour ; car, nous l'avons dit, il s'accommode merveilleusement à toutes les situations de la vie et à tous les caractères humains. naïf et paisible dans les coeurs simples, il peut être passionné sans désordre dans les âmes vives, héroïque ou contemplatif, quelquefois même presque religieux ; il peut naître en un instant ou résulter d'une longue familiarité ; il peut avoir les apparence de la simple amitié ; il peut ne pas attendre le devoir et n'en avoir pas besoin pour rester pur et fidèle ; et quelquefois il naît du devoir même, et nous voyons Corneille atteindre au sublime de la poésie et du pathétique, en nous peignant dans Pauline le passion inspirée par le seul devoir. Mais quelle que soit la forme que prenne ce sentiment, il ne faut pas compter sans lui. Si sa présence est souvent à craindre, son absence ne l'est pas moins. Il est bon qu'un oeil vigilant et qu'une main protectrice écartent d'une jeune imagination le péril des hallucinations romanesques ; mais il ne faut pas sacrifier aux conseils stériles d'une raison sèche et rampante, de peur que des sentiments naturels non satisfaits dans la mesure qui convient ne cherchent leur aliment en dehors de l'ordre et de l'honneur. Je trouvais dernièrement dans un vieux livre indien, dans un code qui n'a pas moins de trois mille ans de date, le code de Manou, une expression délicieuse pour rendre ce que nous appelons assez froidement en fançais un mariage d'inclination. Savez-vous comment ces vieux et immobiles Indiens appellent celà ? Le mariage des musiciens céleste. Eh bien ! Messieurs, cette musique céleste a son prix, et ce n'est pas seulement l'imagination, c'est la raison même qui conseille de ne point la dédaigner. Pardonnez-moi de plaider ici la cause d'un sentiment justement suspect, et contre lequel on ne saurait trop se tenir en garde ; je ne l'aurais point osé, si je n'avais cru pouvoir me couvrir auprès de vous du nom de deux écrivains éminents, madame de Staël, M.Guizot, qui, l'un dans son livre De l'Allemagne, l'autre dans un article récent et univesellement applaudi de la Revue des deux Mondes, ont également défendu, avec autorité de leur haute raison, l'amour dans le mariage.
Il est vrai que la passion ne dure pas toujours, et n'a d'ordinaire qu'un temps plus ou moins long, que nous appelons en français d'une expression ingénieuse et délicate. Mais cela même a sa raison : car, s'il est nécessaire que l'homme, pour entrer dans les grands engagements de la famille, y soit entraîné tout entier, il importe que, pour suffire à ces engagements, il reprenne la possession de lui-même, et que l'imagination laisse le coeur libre de ne plus obéir qu'à la raison. Mais ce que le sentiment perd de sa fraîcheur, il le gagne en maturité. La fleur se fane, mais les racines s'enfoncent, s'approfondissent et se multiplient ; et, sous cette intimité froide et monotone, telle qu'elle paraît aux yeux des indifférents, il y a des noeuds secrètements entrelacés avec tant de force que leur rupture déchire souvent d'une manière irremédiable le coeur de celui qui reste.
Puisque l'amour est un sentiment naturel et légitime, où doit-il trouver sa satisfaction ? dans la famille ou hors de la famille ? En dehors de la famille, Messieurs, ce sentiment manque de deux conditions indispensables au bonheur et à la paix : la sécurité et la dignité ; ces deux conditions, il les remplace par l'exagération. De là ces mouvements fébriles, violents, honteux, que des plumes corruptrices ont présentés à nos imaginations faibles et fascinées comme l'idéal du bonheur, comme la seule tentation digne d'une âme libre et généreuse, mais qui ne portent en réalité au coeur qu'ils ont une fois subjugué que l'ennui, la honte et le désespoir.
De tous les sentiments humains, l'amour conjugal est donc celui qui satisfait le plus et le mieux au besoin de vivre en autrui, de s'appuyer sur autrui, qui, par conséquent, dissimule le mieux à l'homme son vide et son néant. Grâce à ce mélange de deux existences, la vie prend en quelque sorte plus de solidité. Appuyés sur un être chéri, nous croyons vivre, nous aimons à vivre, nous voulons vivre, et cela est un bien ; car, ainsi que l'a dit un philosophe, " la vie n'est pas la méditation de la mort, mais de la vie. " J'avoue que cette solidité n'est qu'apparente, et que cela même, comme tout ce qui est sous le soleil, n'est que vanité. Mais on vous disait récemment avec finesse et éloquence que l'homme a besoin d'illusions, et on vous invitait à en chercher dans la vie fictive. Je crois rester fidèle à cette pensée en ajoutant que ces illusions, elles sont dans la vie réelle, qu'elles nous enveloppent de toutes parts, et que nous ne pouvons nous en détacher un seul instant. Nous bâtissons des maisons pour y reposer nos vieux jours, c'est une illusion, car nous mourrons demain ; nous plantons des arbres pour jouir de leur ombrage, c'est une illusion, nous ne sentirons pas leur parfum ; nous élevons des enfants pour en faire des hommes, c'est une illusion, nous ne verrons pas leurs couronnes ; nous nous appuyons sur le bras d'une femme aimée, ou nous lui promettons notre appui, c'est une illusion, car nous la laisserons veuve ou nous la pleurerons dans la solitude. Mais de telles illusions sont nécessaires : car le jour ou elles viendraient à nous manquer, il n'y aurait de paix pour nous que dans le tombeau.
Le second besoin d'où naît la famille, c'est celui de revivre en autrui. Il a la même cause que le precédent : l'ennui de soi-même et l'impatience de combler le vide de notre existence en la multipliant. L'homme aime tant à vivre qu'il veut vivre deux fois, de là l'affection conjugale, et qu'il veut se survivre, de là l'affection paternelle.
C'est de cet amour de la vie que naît le désir de l'immotalité. La religion satisfait à ce désir en promettant à l'homme une autre existence : mais cela ne suffit pas encore, c'est sur cette terre même que l'homme aspire à une sorte d'immortalité. Les uns la cherchent dans la perpétuité de leur nom ; l'amour de la gloire n'est qu'une des formes de ce vaste amour de l'être. Non omnis moriar, dit Horace, je ne mourrai pas tout entier. Voilà le cri des poëtes et des héros. Mais une telle immortalité n'est promise qu'à un bien petit nombre, et la plupart essaient de se donner le change en renaissant dans leurs enfants. On oublie que les cheveux tombent et blanchissent en voyant naître, grandir, mûrir autour de soi ces jeunes plantes si aimées. Vous connaissez la belle expression de madame de Sévigné écrivant à sa fille : " J'ai mal à votre poitrine." C'était bien dire que les parents vivent de la vie de leurs enfants, souffrent de leurs souffrances et meurent de leur mort : et la pensée qui nous fait regarder les enfants comme des membres de nous-mêmes n'est pas une pure illusion ; c'est notre chair et notre sang, mais surtout c'est notre âme, ce sont nos exemples, nos leçons, nos vertus ou nos faiblesses qui revivent en eux, et, si après nous ils méritent par leur conduite l'estime et le respect du monde, nous pouvons revendiquer une partie de ces hommages, comme nous devons nous-mêmes reporter sur nos parents une grande partie des éloges que nous pouvons mériter ; et c'est ainsi qu'il se fait de génération en génération une tradition heureuse ou malheureuse de vertus ou de vis, chacun recevant ou transmettant à son tour, par l'éducation et par l'exemple, une partie de lui-même. ( annotations Apj : Je pense que cette pensée doit être détaillée pour être mieux perçue et de manière à ne pas tomber dans un fatalisme qui retirerai toutes responsabilités. Je pense que chacun possède son libre arbitre et quelquesoit les idées du sang, l'histoire est là pour nous prouver que nous pouvons évoluer, et choisir de faire ce que nous jugeons bien. L'héritage des idées est, mais la raison et le bon sens déterminent l'acte de l'honnête homme. L'éducation est un facteur important mais il s'éfface devant la volonté. En d'autres termes, l'écrit de Jpa est vrai pour la plupart des être ayant peu de volonté. Cette note ne remet nullement en question l'héritage des pensées, elle en définie juste la limite)
Ainsi la famille complète et perpétue notre être : elle l'étend dans l'espace et dans la durée. L'homme seul n'occupe qu'un point sur la surface de la terre, et en mourant ne laisse rien après soi. La famille étend ses rameaux envoie au loin ses rejetons et plonge des racines presque immortelles. La famille demande à l'homme le sacrifice de son être, mais elle le paie par l'augmentation de son être : elle le force à s'oublier lui-même, mais elle lui permet de se retrouver en autrui : elle concilie le bonheur de la personnalité et le bonheur du dévouement, et, dans un cercle bien circonscrit, elle trouve la juste mesure si convenable aux besoins et à la puissance moyenne de la nature humaine entre l'égoïsme solitaire et l'abnégation absolue.
Tels sont les bienfaits de la famille, mais ces bienfaits ne vont pas sans difficultés et sans périls. Ces difficultés peuvent être ramenées à trois causes : 1° la nature des choses et les conditions inévitables de la famille ; 2° les circonstences extérieures, accidentelles, fortuites ; 3° la diversité des caractères.
1° La famille donne beaucoup, mais elle ne donne pas sans condition. Une des erreurs les plus communes est de tout exiger de la famille sans lui rien donner ; de lui demander le repos dans l'ennui, les soins dans la maladie, la gaieté dans la tristesse, mais de vouloir conserver en même temps tous les avantages d'une vie libre et dégagée. La vie libre a ses plaisirs, la famille a les siens. Vouloir jouir à la fois des uns et des autres c'est les manquer également. On ne retrouve pas à heure dite la sérénité, la paix dont on a besoin ; ces biens ne résultent que de l'habitude. Pour jouir de la famille il faut y vivre, y rester, en accepter les liens. Cella continuatadulcescit, dit l'Imitation, la cellule devient douce à force d'y demeurer. La famille est une servitude : je ne dis point cela pour l'abaisser, mais pour la relever ; c'est une noble servitude où chacun se doit tout à tous. L'autorité elle-même dont nous défendrons la cause, car là est le salut de la famille, n'est encore qu'un exclavage, et la devise de la famille pourrait être cette belle et sainte parole : Je ne suis pas venu pour être servi, mais pour servir. L'amour, suivant la doctrine de tous les grands mystiques, car, à cette hauteur, les principes qui dominent la science de l'amour divin peuvent s'appliquer à la science de l'amour humain, l'amour n'est pas mercenaire : s'il demande sa récompense, il ne l'obtient pas ; il vit de sacrifices, il est tout entier dans l'objet aimé, et comme cet amour est réciproque, chacun reçoit autant qu'il donne : exepté la dignité et la vertu, l'amour ne se réserve rien, il est gratuit, il est pauvre, il est nu. Voilà ce qu'est l'amour, ou plutôt voilà ce qu'il doit aspirer à être : car dans les tristes conditions que nous fait la nature humaine, nous sommes obligés de descendre sans cesse de l'idéal au réel et de l'inflexibilité des principes aux condescendances de l'application.
2° La famille, Messieurs, ne vit pas sans un certain nombre de conditions extérieues de différente nature : condition de fortune, de position, de naissance. Ces conditions sont très importantes, et elles peuvent contribuer beaucoup au bonheur ou au malheur, à la bonne ou à la mauvaise conduite de la famille. Or, les devoirs nécessaires de la famille sont déjà par eux-mêmes assez difficiles ou assez sévères pour qu'il soit inutile de les compliquer encore en méprisant ces convenances reconnues salutaires par l'expérience des hommes. J'approuve donc de tout mon coeur cette sagesse pratique qui écarte prudemment des jeunes unions les contrastes de fortune ou d'éducation rarement conciliable avec la paix intérieure. ( annotation Apj, ceci serait vrai, s'il n'y avait une loi supérieure qui rend la notion de matière caduque, une loi qui transcende, une loi qui rend l'amour plus fort que la matière. L'amour naturel au sens affinité est toujours plus fort que l'amour issue de l'habitude imposée par les convenances. L'idéal étant que les deux types d'amour se rencontrent. )
Les parents entendent d'ordinaire merveilleusement ces règles de la prudence domestique. Les jeunes gens en feraient plus volontiers bon marché ; du moins était-ce ainsi autrefois, car on prétend qu'aujourd'hui les jeunes calculent aussi bien que les vieux.
Je n'en sais rien ; mais comme il y a deux sagesses, celle qui naît de l'expérience et de l'observation du cours ordinaire des choses, et celle qui puise aux inspirations hardies du coeur et ne connaît que la loi du devoir, je ne voudrais pas décourager les âmes intrépides qui, sachant ce qu'elles font et agissant avec une résolution droite et réfléchie, sacrifient des convenances respectables sans doute, mais non point absolument obligatoires à l'avantage inappréciable de choisir selon le coeur. Mais j'y mets deux conditions : la première, c'est que ce choix ne vienne pas de la légèreté ni d'une passion basse, la seconde, c'est qu'on mette autant de courage à supporter les difficultés qu'à les affronter.
3° La troisième espèce d'écueils qui se rencontre dans la vie de famille naît de la diversité et de l'imperfection des caractères. Sans doute il se rencontre des unions parfaites où une singulière armonie de sentiments et d'humeur entretient une paix constante entre deux âmes nées l'une pour l'autre. Il est aussi malheureusement des unions désastreuses où l'opposition des caractères amène de si tristes déchirements, que la loi elle-même est forcée, non pas de dissoudre, mais de suspendre un lien dont elle avait sanctionnél'éternité. Mais entre ces deux extrémités que je voudrais croire aussi rare l'une que l'autre, se place, à des degrés divers d'intimité, de confiance et de bonheur, la grande majorité des unions. Tous les caractères ayant plus ou moins leurs angles, il est bien difficile qu'un commerce de tous les instants ne donne point lieu à des frottements qui ne seront rien ou qui seront beaucoup, selon la sagesse des hommes. Insister sur ce mal, c'est l'envenimer ; les piqûres deviennent des blessures, et les blessures deviennnent des plaies. Se pardonner l'un à l'autre, se tolérer l'un l'autre est le seul moyen de jouir sans amertume des belles et saines émotions de la vie domestique. Tolérer les travers et les défauts des hommes est un devoir général de charité ; mais dans la famille, c'est un rigoureux devoir de prudence : car celui qui ne supporte rien n'est pas lui-même supporté. Ce qui doit nous rendre cette tolérance facile, c'est la pensée que chacun a ses défauts et qu'on n'a pas le droit d'exiger des autres la perfection que l'on ne s'impose pas à soi-même.
Si nous avons réussi à éviter par notre sagesse tous les écueils où viennent échouer tant de famille, serons-nous pour cela parvenus à cette paix sans nuages que nous espérons toujours et que notre nature réclame avec tant d'ardeur ? Ce serait compter sans l'inflexible fatalité, parlons plus religieusement sans les épreuves que Dieu envoie à l'homme pour lui rappeler que sa destinée terrestre est incomplète et qu'il n'habite ici-bas qu'une tente d'un jour. Il y a quelquefois dans les familles des malheurs effroyables qui confondent l'imagination : il y a des privilégiés d'infortunes, tant il est vrai que l'égalité absolue n'est pas de ce monde. Heureusement d'aussi grandes calamités ne sont pas communes. Mais quelque inégalement distribuées que soient les douleurs, nous en avons tous notre part. La douleur, elle est entrée dans la famille le jour où il a été dit à la femme : " Tu enfenteras dans la douleur ; " et depuis les premières inquiétudes que cause aux parents l'existence physique de ces êtres chétifs où la famille essaie de renaître, jusqu'à ces inquiétudes plus vives et plus pressantes qu'inspire l'existence morale du jeune homme ou de la jeune fille aux prise avec les périls du monde, la vie de famille n'est qu'une longue angoisse adoucie seulement par le sourire de l'enfant ou les succès du jeune homme.
Et maintenant, Messieurs, la douleur, comme le disaient les écoles de philosophie ancienne, la douleur est-elle un mal ? Nous répondrons, comme le Stoïcien Posidonius, mais dans un autre sens que lui : Non, la douleur n'est pas un mal. La famille, qui ne vit que d'unité et d'armonie, tend sans cesse cependant, par l'effet des passions humaines, à se relâcher et à se dissoudre. Pour entrer dans la famille, on n'abandonne pas les passions : le désir de l'indépendance, l'amour du plaisir, beaucoup d'autres encore éloignent insensiblement le mari de la femme et les parents des enfants. La famille est-elle heureuse, elle jouit de ce bonheur sans le goûter, sans le savourer, presque sans le sentir, comme on jouit de la santé dont les malades seuls connaissent bien le prix. C'est alors que la famille est en péril : l'homme va à ses affaires, la femme à ses plaisirs, et les enfants sont abandonnés aux soins des gouvernantes et des précepteurs ; alors vient la douleur, et elle vient à propos. Voilà une jeune mère joyeuse, étincelante de luxe et de beauté ; le monde l'attire, le succès l'aveugle : qui ne sait le péril de ces adulations fascinatrice ? elle est frappée ! Voilà un père tout entier aux froids calculs ou aux fiévreuses combinaisons de l'ambition ou de l'amour du lucre ; il abandonne la femme, les enfants , le foyer domestique : il est frappé ! Voilà un ménage qui, avec une parcimonie sordide et sous prétexte de ménager l'avenir d'un unique enfant, lui refuse les choses nécessaires ou les plaisirs les plus innocents : il est frappé ! Par ces coups bienfaisants, par ces blessures heureuses, par ces diversions sanglantes, le sens moral rentre dans la famille, et la vraie destination du ménage apparaît dans sa sévère grandeur. Mais ces coups, dit-on, frappent les innocents comme les coupables. Je réponds : il n'y a pint d'innocents. Sans doute, les douleurs ne se proportionnent pas exactement aux mérites et aux fautes, et c'est là une des plus fortes raison pour lesquelles la philosophie et la religion promettent à l'homme l'immortalité. Mais la douleur a toujours plus ou moins un sens ; et si elle n'est pas un châtiment, elle est un avertissement. Tous ont besoin de leçons, tous ont besoin de menaces.
mais j'entends qu'on me dit : Où donc est cette paix que vous promettiez en commençant, où est cette joie que l'on obtient que par la famille, que tout le monde cherche dans la famille, et au lieu de laquelle nous ne rencontrons que des embarras inextricables et des douleurs déchirantes ? Messieurs, la paix que donne la famille à ceux qui savent en jouir, n'est, il faut bien le dire, qu'une paix humaine, c'est-à-dire une trêve ; c'est une paix troublée, interrompue, toujours menacée. La vie n'en a pas d'autre à vous offrir. Mais après cette paix passagère et savoureuse qui résulte du premier épanouissement de toutes les forces vives de la nature, il en succède une autre moins riante, sans doute, mais qui n'est pas sans prix : c'est celle qui vient de la patience, de la résignation, du courage en commun et de l'espérance.
J'ai fini ; je vous ai peint la vie de famille sans rien exagérer et sans rien cacher. Je vous en ai raconté les bienfaits, les périls et les épreuves ; et, à côté des aspects riants et séducteurs, je n'ai point craint de faire paraître les aspects sévères et tristes. C'est ainsi qu'il faut peindre toutes les grandes choses. Car elles ne sont pas grandes seulement par ce qu'elles ont de beau et de séduisant, mais encore par ce qu'elles ont d'escarpé et de terrible. Le beau entraîne l'imagination, et le terrible aiguillonne le courage.
J'aurais voulu, en nous séparant, vous laisser sous une impression douce : j'aurais voulu trouver des paroles vives et touchantes pour vous exprimer encore une fois, dans quelques derniers traits, l'image fidèle de cette vie domestique si saine au corps et à l'âme, si fortifiante et si rafraîchissante à la fois, et qui, malgré les traverses dont elle est remplie, est encore, de toutes les situations de la vie, celle qui procure le plus de joie et de sérénité.


Le mari

La femme

Le père et la mère

L'enfant

Le fils

La fille

Le siècle et la famille

L’œuvre de Paul Janet